La goélette Tara a mis les voiles il y a un peu plus d’un an pour une nouvelle expédition, au départ de Lorient (Morbihan). Sa mission : parcourir les eaux du Pacifique afin de comprendre le fonctionnement et la diversité des récifs coralliens, sonder leur état de santé et observer leur évolution face aux changements climatiques.

A ce jour, l’équipe de scientifiques à bord du voilier ont parcouru 50 000 km d’Est en Ouest (du canal du Panama à la Nouvelle-Zélande, en passant par le Japon), réalisé 2 000 plongées sur 17 sites et collecté près de 15 000 échantillons – des tissus coralliens mais aussi des sédiments, des poissons et de l’eau localisée entre les branches des coraux et autour des colonies coralliennes. L’équipage se dirige actuellement vers Chesterfield, un archipel situé entre l’Australie et Grande Terre, l’île principale de la Nouvelle-Calédonie. D’ici au terme du voyage, en octobre 2018, les chercheurs prévoient de collecter un total de 35 000 échantillons provenant de 40 archipels.

Les chercheurs prélèvent des échantillons de corail pour les analyser. / Pete West / Bioquest Studios

« C’est la première fois que l’on évalue avec autant de soin les récifs coralliens », se félicite Denis Allemand, codirecteur scientifique de l’expédition Tara Pacific et directeur du Centre scientifique de Monaco. Les résultats de cette vaste étude permettront notamment de déterminer les paramètres qui favorisent ou non la résistance et l’adaptation des différentes espèces aux perturbations environnementales.

Une des pistes que les chercheurs explorent est celle de l’interaction entre les polypes et leur microbiote. Comme les humains, les coraux vivent en symbiose avec des micro-organismes. Cet ensemble de micro-algues photosynthétiques, bactéries et virus « joue un rôle-clé dans l’adaptation du corail à son environnement, explique Denis Allemand. Nous souhaitons corréler toutes ces données – notamment physiocochimiques –, à la santé du corail ».

Cueillette à la main et carottage

Par ailleurs, grâce au séquençage de l’ADN de petits fragments de corail récoltés manuellement, les chercheurs pourront identifier les différents organismes et ainsi faire un état des lieux de la diversité génétique retrouvée dans les différents sites étudiés. Une analyse de l’ARN permettra quant à elle de déterminer l’activité des gènes et de savoir précisément si les organismes sont « en cours de division, dans un état stationnaire, en train de manger ou en train de mourir », détaille Quentin Carradec, ingénieur-chercheur au Genoscope (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA), qui procède à ces analyses.

Les chercheurs s’intéressent également aux extrémités chromosomiques des coraux, les télomères, dont la longueur semble varier selon les sites analysés. Or, ce paramètre est un index de stress cellulaire et de vieillissement chez l’homme. Les scientifiques de Tara creusent dès lors l’hypothèse d’un lien entre les variations télomériques du corail, sa longévité impressionnante – jusqu’à 4 000 ans – et ses capacités d’adaptation.

Enfin, à partir de carottes effectuées sur les colonies coralliennes, les chercheurs peuvent analyser l’évolution, sur une période d’environ cent ans, de la vitesse de croissance des coraux, et évaluer l’impact potentiel de l’acidification des océans sur le taux de calcification des récifs.

Le blanchissement des récifs s’amplifie

Outre la visée fondamentale de leurs recherches, l’expédition permet aux chercheurs de faire le point sur le niveau de blanchissement des coraux. A la veille de 2018, qui sera la 3e année internationale des récifs coralliens, le constat est alarmant. Selon les sites étudiés, 30 % à 90 % de la couverture corallienne sont affectés. Or, si ce phénomène spectaculaire ne signifie pas forcément la mort, ce n’est en réalité qu’une question de temps. Les coraux sont très sensibles aux élévations de température, et lorsqu’un réchauffement de l’eau, même à partir de 1 °C, se produit pendant plus de trois semaines, cela conduit à la mort du polype.

Aussi, l’augmentation de la fréquence des épisodes de hausse des températures et son corrolaire de perte de couleur des coraux, inquiètent-ils particulièrement les chercheurs. « Avant, le processus de blanchissement se produisait tous les vingt, vingt-cinq ans. Mais depuis deux ou trois ans, cela revient tous les ans (…) et ce n’est pas forcément lié à un phénomène de changement climatique exceptionnel comme El Niño, s’alarme Serge Planes, directeur scientifique de Tara Pacific et chercheur au CNRS. Selon les prévisions, dès 2040, les blanchissements seront récurrents à l’échelle planétaire à un rythme annuel. »

Les massifs coralliens, qui regroupent 30 % de la biodiversité marine connue, sont de véritables oasis de vie. Leur destruction pourrait avoir des impacts majeurs. Y compris pour l’homme : selon un rapport de l’International Coral Reef Action Network (Icran) et de l’ONG WWF, les services écologiques et économiques rendus par les coraux – que ce soit en termes de tourisme, de protection des côtes contre l’érosion ou de réservoir de poissons et crustacés pour l’activité de pêche – représenteraient 24 milliards d’euros par an. Si les récifs coralliens étaient sujets à des modifications trop profondes, « est-ce que les services rendus à l’espèce humaine [seraient] les mêmes ? », s’interroge Serge Planes.

L’homme peut encore changer le cours des choses

Outre le réchauffement climatique et l’acidification des océans, c’est la localisation principalement côtière des coraux qui les a rendus si vulnérables, en raison notamment de la pollution des eaux, de l’agriculture, de la pêche à la dynamite et des aménagements côtiers. Mais tout n’est pas perdu : ils possèdent des capacités régénératives très grandes. « En mettant en place une politique qui protège les côtes, nous donnerons plus de temps aux récifs pour résister aux changements », soutient Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Expéditions. « Tara Pacific, en tant qu’ONG, a un rôle d’alerte, appuie Serge Planes. L’homme peut agir très rapidement si l’on considère que l’aménagement du littoral est une priorité. »