La messe au parc Simon Bolivar de la capitale Bogota a rassemblé un million de fidèles. / STEFANO RELLANDINI / REUTERS

Le président colombien Juan Manuel Santos, n’a pas lâché d’une semelle le pape François après son arrivée, mercredi après-midi 6 septembre, pour une visite de cinq jours en Colombie. Cette durée inhabituellement longue pour un séjour dans un même pays vient couronner la signature de l’accord de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche).

Le chef d’État colombien a mis les petits plats dans les grands – vaste tribune vibrante de mains agitant des mouchoirs blancs à l’aéroport, troupe de danseurs, escorte à cheval pour la papamobile à Bogota - pour mettre la visite de son hôte au service de cet accord, qui met fin à plus de cinquante ans de guerre mais qui divise profondément le pays, avant l’élection présidentielle de 2018. A peine revenu de l’aéroport, Juan Manuel Santos a convoqué la presse et fait connaître sa satisfaction « pour la merveilleuse visite du Saint-Père ».

Jeudi matin, lors de la rencontre officielle avec le chef de l’Église catholique, Juan Manuel Santos a mis en avant le « moment unique » que vit la Colombie, « seul pays au monde où aujourd’hui la guerre cède le pas à la parole, où on détruit des armes ». Mais il a aussi concédé à son invité que le plus difficile restait sans doute à faire : parvenir à une véritable réconciliation dans un pays déchiré pas plus de cinquante ans de violences politiques et de guerre interne, et aujourd’hui divisé sur l’accord avec les FARC. « Le silence des fusils ne sert à rien si les cœurs demeurent armés », a-t-il dit.

La paix, « un travail toujours inachevé »

De fait, le pape ne s’est pas rendu en Colombie pour délivrer un simple satisfecit au gouvernement pour la fin des combats, mais bien pour convaincre les Colombiens de s’impliquer dans la construction d’une paix durable, ce qui est à ses yeux une entreprise autrement ardue, « un travail toujours inachevé, une tâche sans répit et qui exige l’engagement de tous ».

La paix, a déclaré le chef de l’Eglise catholique devant quelque 800 dirigeants politiques et économiques, suppose de « fuir toute tentation de vengeance et de recherche d’intérêts uniquement particuliers et à court terme » et de « reconnaître l’autre ». Ces propos s’adressent à la partie de l’opinion qui juge que les accords font la part trop belle aux FARC en lui permettant d’entrer dans le jeu politique.

Ils s’adressent aussi aux élites colombiennes, qui sont parmi les plus fermées et concentrées d’Amérique latine. A celles-ci, le pape François a demandé, pour construire la paix, de s’attaquer aux inégalités sociales et territoriales, de lutter prioritairement contre « l’iniquité, racine des maux sociaux » et terreau de violence.

Une messe devant un million de personnes

« Je vous encourage à poser le regard sur tous ceux qui, aujourd’hui, sont exclus et marginalisés par la société, leur a-t-il lancé. [La société] n’est pas constituée uniquement par quelques-uns de ‘‘pur-sang’’, mais par tous. (…) Je vous demande d’écouter les pauvres, ceux qui souffrent. Regardez-les dans les yeux et laissez-vous interroger à tout moment par leurs visages sillonnés de souffrance et par leurs mains suppliantes. »

Dans l’après-midi, au cours d’une messe célébrée devant un million de personnes, selon la municipalité, il mettra en garde contre les « épaisses ténèbres » planant sur la Colombie, celles de « l’injustice et de l’inégalité sociale », celles du mépris de la vie et celles de « la soif de vengeance et de la haine ».

En fin de matinée, du balcon du palais cardinalice, place de la cathédrale, le pape s’est adressé spécifiquement aux jeunes, en qui il voit les meilleurs artisans d’une éventuelle réconciliation en Colombie. Le premier visage de cette jeunesse, François l’avait rencontré dès sa descente de l’avion, la veille.

Un jeune garçon lui avait remis une colombe. Il s’agissait du fils de Clara Rojas, enlevée en février 2002 par les FARC, aux côtés d’Ingrid Betancourt, alors candidate à la présidentielle. Détenue pendant six ans, elle a conçu cet enfant en captivité avec l’un des guérilleros.

Message à la jeunesse et à l’Eglise colombienne

Jeudi, place de la cathédrale, François s’est livré avec jubilation à cet auditoire qu’il affectionne par-dessus tout. « N’ayez pas peur de l’avenir ! Osez rêver grand ! », a-t-il lancé aux jeunes Colombiens. « Votre jeunesse vous rend capables de quelque chose de très difficile dans la vie : pardonner. (…) Vous nous aidez à regarder en avant sans le fardeau de la haine. »

Pas plus que la société, l’Église colombienne n’est épargnée par les divisions face à la nouvelle donne politique et la place faite aux FARC. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle n’a pas appelé à voter pour l’accord au référendum d’octobre 2016.

Rencontrant les 130 évêques du pays, François leur a demandé de se tenir à l’écart des enjeux de pouvoir et de surmonter leurs divisions pour soutenir la Colombie « dans le courage du premier pas vers la paix définitive, la réconciliation, vers le renoncement à la violence comme méthode, vers la suppression des inégalités qui sont la racine de nombreuses souffrances, la renonciation au chemin facile mais sans issue de la corruption, la patiente et persévérante consolidation de la ‘‘res publica’’ qui demande l’éradication de la misère et de l’inégalité ».