Avec 65 000 logements proposés, Paris serait la deuxième place de marché du site dans le monde / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Cela ressemble à une déclaration de guerre contre Airbnb ! La Mairie de Paris veut sévir contre les sites de location de courte durée de logements. Elle souhaite réduire le nombre maximum de nuitées autorisées à la location. Fixé aujourd’hui à 120 jours par an, Paris voudrait le faire redescendre à 90 ou même à 60. « Le chiffre n’est pas définitivement fixé », reconnaît Ian Brossat, adjoint à la Mairie de Paris chargé du logement. Mais la volonté est claire. Mettre au pas Airbnb, HomeAway et consorts. « On peut légitimement se poser la question du nombre de jours » pendant lesquels un propriétaire parisien peut louer son appartement, estime M. Brossat.

L’idée des édiles de la capitale est de se rapprocher des seuils fixés par les autres villes phares d’Airbnb. Toutes bien moins généreuses. De fait, face aux 120 nuitées parisiennes, New York n’en autorise que 30 contre 60 à Amsterdam et San Francisco et 90 à Londres. A en croire M. Brossat, cette diminution ne devrait pas gêner la grande majorité des loueurs car, « selon Airbnb, la durée moyenne de location est de 33 jours par an » à Paris. Toutefois, fait-il savoir, aucune décision définitive n’a encore été prise : « Tout se discute. »

En pratique, c’est l’engouement chaque année plus important des Parisiens pour Airbnb qui a poussé la Mairie de Paris à passer à l’offensive. « Nous avons quand même une série d’indicateurs qui nous préoccupent », pointe l’adjoint chargé du logement. Le vrai motif d’inquiétude, c’est « la transformation à l’œuvre, notamment dans les arrondissements du centre » de la capitale : « 26 % des logements des quatre premiers arrondissements du centre sont soit vides, soit occupés de manière occasionnelle », c’est-à-dire proposés à la location de courte durée. Une explosion incontrôlée qui fait, selon lui, que « beaucoup de Parisiens sont exaspérés par le développement des meublés touristiques et ne reconnaissent plus leurs quartiers ».

La démarche de la capitale n’est pas du goût du site américain.

La démarche de la capitale n’est pas du goût du site américain. « Il est décevant de constater que la Mairie de Paris cède une nouvelle fois au lobbying intense des organisations hôtelières, et s’en prend aux familles parisiennes qui bénéficient de la location occasionnelle de leur logement sur Airbnb. Alors que le coût de la vie augmente régulièrement depuis des décennies dans la capitale, où les jeunes familles n’arrivent plus à se loger, Airbnb est une opportunité pour aider plus de 50 000 Parisiennes et Parisiens à payer leurs charges de logement ou de vie courante », s’indigne Emmanuel Marill, directeur général France d’Airbnb.

L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) reconnaît « avoir mené des actions » de lobbying auprès des municipalités et notamment Paris. En revanche, elle conteste « le grand argument d’Airbnb selon lequel il contribue à aider les Parisiens à boucler leurs fins de mois ». Pour preuve, selon le syndicat, la majorité des logements proposés par le site américain sont concentrés dans le centre de la capitale ou bien proches des lieux touristiques. Des quartiers où ne résident pas « les Parisiens les plus pauvres qui ont besoin d’Airbnb pour trouver un complément de revenus ».

Roland Héguy, président de l’UMIH, dénonce « une opération d’enfumage » de la société américaine. Selon lui, le site « ne produit ni emploi ni fiscalité » en France. Alors qu’Airbnb est « valorisé 31 milliards de dollars [25,6 milliards d’euros] à la Bourse de New York, il a payé moins de 100 000 euros d’impôts en France avec moins de 30 emplois ». Une misère, selon le syndicat, qui a fait tourner ses calculettes. D’après l’UMIH, Airbnb, très discret sur ses recettes, aurait « généré un volume d’affaires en France estimé entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros d’octobre 2015 à octobre 2016 ». En pratique, détaille le syndicat, avec « 9 % de commission », le site américain aurait gagné « environ 100 millions d’euros » sur cette période.

Des records de fréquentation cet été

Un pactole qui n’a pas dû se réduire. Au contraire ! De son propre aveu, l’Américain a battu des records de fréquentation cet été. En août, 45 millions de touristes dans le monde, dont 5 millions en France, ont trouvé un hébergement par son intermédiaire. Au cours de la même période, 5,6 millions de Français ont voyagé avec Airbnb. Le site aurait beaucoup à perdre d’un tour de vis contre les locations de courte durée : Paris reste une de ses places fortes avec « plus de 50 000 Parisiennes et Parisiens » qui utiliseraient ses services pour louer leurs logements, selon M. Marill. En fait, ce sont 65 000 logements qui sont proposés à la location sur Airbnb. Cela fait de la capitale la « deuxième place de marché d’Airbnb dans le monde », fulmine l’UMIH.

Pour l’heure, le nombre des nuitées est fixé par la loi dite ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Mais ce qu’un texte a fait, un autre peut le défaire. Et la semaine prochaine, le gouvernement doit présenter un projet de loi sur le logement. Une occasion en or que ne veut pas manquer la Mairie de Paris. « Ce que nous souhaitons, c’est avoir la main sur ce dossier. Aujourd’hui, c’est l’Etat. Nous souhaitons que la capitale puisse fixer elle-même la limite du nombre de jours autorisés à la location », explique Ian Brossat. Cette mainmise viendrait compléter le dispositif mis en place par la maire de Paris, Anne Hidalgo. « Quand Paris a obtenu d’Airbnb le versement de la taxe de séjour [environ 5,5 millions d’euros], c’était pour limiter la concurrence déloyale avec l’hôtellerie », précise l’adjoint au maire.

Dès cet automne, l’étau va se resserrer cette fois autour des loueurs. A partir du 1er octobre, ils pourront obtenir un numéro d’enregistrement. Il devra figurer obligatoirement, sous peine d’amende, dès le premier décembre sur tous les sites de location touristique. Outre ces initiatives réglementaires, la fiscalité pourrait freiner sérieusement la montée en puissance d’Airbnb. Nombre de loueurs parisiens qui ont pour la première fois déclaré, en 2016, leurs revenus tirés d’Airbnb, ont eu une désagréable surprise en recevant leur feuille d’impôts. A l’exemple de Nathalie qui, pour 7 400 euros de gains sur le site américain, a dû s’acquitter de 2 000 euros d’impôts supplémentaires. Echaudée, elle a décidé de ne plus louer sur Airbnb.