Le spectre d’un effondrement du Tchad a eu raison des réticences à venir une nouvelle fois en aide à un pays qui jusqu’à présent n’a jamais mis en œuvre les politiques promises et dont la mauvaise gouvernance comme la violation des droits humains sont notoires. En pleine crise migratoire, le président Idriss Déby Itno dont l’armée se bat pour maintenir la paix au Sahel et repousser Boko Haram dans la région du lac Tchad, est devenu un allié incontournable. Il vient d’en être récompensé.

Vendredi 8 septembre, les principaux bailleurs de fonds se sont engagés à financer le plan de développement quinquennal (2017-2021) qui promet de projeter le pays sur la route de « l’émergence ». Un objectif fixé pour 2030.

Idriss Déby, présent à Paris pour l’événement organisé en grande pompe à l’Hôtel Méridien Etoile n’avait pas manqué d’en rappeler les enjeux : « Le Tchad est le verrou du Sahel. Le soutenir est dans l’intérêt du continent et de la communauté internationale » et « quand on me dit que ce que je fais, c’est bien, je dis que cela n’est pas suffisant, donner c’est mieux ».

Depuis le retournement des cours du pétrole en 2014, le pays, qui se classe au troisième rang des pays les plus pauvres du monde, s’enfonce dans la crise. L’Etat a été contraint de diviser ses dépenses par deux. Les salaires des fonctionnaires n’ont pas été versés pendant des mois aggravant le mécontentement social. A la fin de juin, un nouvel accord de plus de 300 millions de dollars sur trois ans a été conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) assorti d’importantes aides budgétaires pour pouvoir notamment régler les traitements.

Les bailleurs bilatéraux ont aussi été priés de mettre la main à la poche sachant qu’il faudrait aller au-delà pour permettre au pays de rebondir. « On ne peut pas demander au pays de faire plus d’ajustements », admet le représentant de l’institution, Saïd Bakhache.

« C’est dans les moments difficiles qu’on reconnaît ses amis » : le premier ministre Edouard Philippe n’a pas économisé ses mots pour afficher le soutien de la France à celui qui héberge le quartier général l’opération militaire « Barkhane ». « Le Tchad fait face à de fortes contraintes sécuritaires, migratoires, climatiques et pourtant il a démontré un engagement constant pour la paix. Il ne peut supporter seul le coût de cet engagement » a-t-il déclaré en rappelant que le Tchad abrite plus de 400 000 réfugiés issus de conflits voisins.

La France apportera 223 millions d’euros au plan de développement tandis que l’Union européenne, de loin le premier contributeur bilatéral, s’est engagée à verser 925 millions d’euros en dons. Au total, ce plan qui prévoit de diversifier l’économie, de renforcer l’Etat de droit tout en améliorant les conditions de vie des Tchadiens est évalué à 5 500 milliards de francs CFA (8,3 milliards d’euros) dont l’État ne peut assurer que 10 %. A Paris, l’objectif était de recueillir 5 milliards d’euros. Les premiers calculs montrent qu’Idriss Déby Itno, dont les opposants avaient été maintenus à bonne distance du palace parisien, peut rentrer à N’Djamena satisfait.

Atmosphère de sacre

Les partenaires traditionnels comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont suivi avec respectivement des promesses de prêts de 1 milliard et de 540 millions de dollars. Il a aussi recueilli les fruits de son rapprochement avec l’Arabie saoudite dans la crise avec le Qatar. Au total, la Banque islamique de développement, les différents fonds d’investissements des pays du Golfe, celui de l’OPEP et la Banque arabe pour le développement économique de l’Afrique (Badea) ont promis de prêter au Tchad 1,8 milliard de dollars, soit un tiers des besoins du Tchad.

Discrète la Chine n’a pas dévoilé le montant de sa contribution mais sa représentante spéciale pour les affaires africaines, Xu Jinghu a félicité M. Déby pour « ses succès remarquables dans la construction du pays et sa contribution à la paix régionale » et indiqué que Pékin était prêt à l’accompagner sur la voie de « l’industrialisation ou du développement rural ».

Dans cette atmosphère de sacre, l’homme au pouvoir depuis vingt-six ans entouré du président de Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz et de la première dame, a écouté, placide, les rares appels à plus de démocratie et au respect de la liberté d’expression de l’Union européenne, de l’Allemagne ou du représentant spécial des Nations unies, François Lounceny Fall. En coulisse, certains bailleurs s’agaçaient de ce que la seule session supprimée de cette table ronde de deux jours fût celle consacrée au « dispositif de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre du plan ». « Si les réformes ne sont pas mises en œuvre, cet argent n’aura produit que de nouvelles dettes pour les futures générations », met en garde l’un d’entre eux.

« Déby assassin, Déby dégage »

Sous sa banderole dénonçant « la complaisance de la France avec le dictateur Déby ! », Khirachi Djibrine, haut parleur à la main ne disait pas autre chose : « Aidez le peuple tchadien en cessant de donner de l’argent à Déby. Cela fait trois fois qu’il vous réunit [en faisant référence aux précédents plans de développement] pour rien. Il n’a fait que nous endetter. Le Tchad est une des pires dictatures d’Afrique. Vous vous trompez en pensant que c’est un pays stable. Plus personne à l’intérieur ne le soutient. Sauf son clan. Il ne lutte pas contre le terrorisme. C’est lui le terroriste. Il nous terrorise. » Avant de scander avec quelques autres membres de la Coordination des patriotes de la diaspora : « Déby assassin, Déby dégage ».