La période des foires aux vins est un moment qui excite ou agace les consommateurs. Espoir de faire de bonnes affaires, exaspération face à une opération dont le supermarché est le premier gagnant, découragement parfois devant la difficulté du choix et le fait que les bouteilles les plus attrayantes ont vite été achetées.

Pour convaincre de leur bonne foi, guider l’acheteur, le fidéliser, les enseignes rivalisent de stratégies de séduction. Avec, désormais, un objectif assumé en ligne de mire : imiter le caviste. La foire aux vins d’automne pèse lourd dans leur chiffre d’affaires, autour de 100 millions d’euros pour les leaders Carrefour et Leclerc (qui a créé cet événement il y a quarante-quatre ans), environ 15 % des ventes de vin sur l’année pour la plupart des enseignes.

Des consommateurs conquis et une offre toujours plus riche

Les Français adhèrent : 70 % ont l’intention de s’y rendre, et ils le font pour 80 % d’entre eux dans les supermarchés et hypermarchés, selon un sondage Toluna. D’ailleurs, ils ont reçu à l’avance les catalogues dans leur boîte aux lettres. Ce fascicule, simple en apparence, est déjà source de réflexion. Car il ne cesse de s’enrichir.

« Il y a entre 30 % et 50 % de références en plus par rapport à il y a quinze ans, de plus en plus de médailles et de labels aussi, constate Olivier Dauvers, qui tient un blog sur la grande distribution (Olivierdauvers.fr). « Et sur la forme, la brochure se rapproche désormais du magazine. C’étaient des catalogues sans âme, qui maintenant racontent de petites histoires. Le ­consommateur a besoin de référencement et de conseil. Et ces pages l’aident à se construire un imaginaire autour d’une bouteille de vin. »

Du reste, de quoi parle en premier Olivier Rey, sommelier au centre Leclerc de Saint-Vincent-de-Tyrosses (Landes), quand on évoque les foires aux vins ? Du catalogue qu’il met personnellement au point. « J’utilise des pictos originaux pour qualifier les vins – du vin de copains au vin coquin – et une signalétique pour la température de service ou le temps de garde. Je mets aussi la photo du vigneron avec le château. » Le but est clair : gagner en proximité et faire du conseil.

Stratégies pour se démarquer

La stratégie la plus affûtée concerne le choix des bouteilles. La part des bordeaux, tout en restant en tête de l’assortiment, s’effrite doucement et passe de 41 % en 2005 à 36 % dix ans plus tard. Les vins du Rhône et du Languedoc-Roussillon en profitent.

Autant se démarquer, néanmoins. Leclerc et Auchan restent en pointe sur les grands crus, alors que les groupements coopératifs comme Intermarché ou Système U revendiquent une plus grande autonomie dans le choix des bouteilles selon les régions.

 

Monoprix s’appuie sur sa clientèle – « des urbains, du centre-ville », précise Emmanuel Gabriot, responsable du rayon vin du groupe, pour proposer une offre très distincte. Ce dernier ajoute : « Nous avons une forte présence de vins blancs, de bulles, de vins pour l’apéritif. Mais aussi de vins prêts à boire, car nos clients ne stockent pas chez eux. » Les vins bio sont également plus fréquents à Monoprix qu’ailleurs.

Chaque année, cette enseigne crée une thématique autour de quelques bouteilles. Pour 2017, ce sont les « vins de rebelles », ceux qui s’affranchissent des contraintes d’appellation. « Comme les vins étrangers, ce sont des vins décomplexés, reprend Emmanuel Gabriot. On s’adresse à des clients curieux, typiquement ceux de Paris. »

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Winery, maison de négoce implantée dans la ­capitale, a fait son apparition parmi les bouteilles. Le responsable du rayon vin va même plus loin, se positionnant « entre les cavistes et la grande distribution. En fait, notre premier ­concurrent, ce sont les cavistes ».

Chez Système U, on évoque aussi l’esprit caviste. Jean-François Rovire, chef de groupe vin, propose même aux vignerons qui refusent de traiter avec la grande distribution de bien vouloir travailler avec lui. « On a un “encart caviste” qui réunit des bouteilles qu’on ne trouve que chez les cavistes. Soit on les achète aux vignerons qu’on a convaincus que notre circuit était légitime, soit on les trouve sur des marchés parallèles. On veut faire bouger les lignes. »

Trouver les bouteilles atypiques

Reste une difficulté : trouver des bouteilles atypiques. Mais leur quantité est faible alors que la clientèle est large… C’est le cas pour les propositions audacieuses, comme celle de la marque U qui, parmi ses 1 000 vins référencés (dont 320 communs à toute la France), propose dix pinots noirs étrangers – neo-zélandais, allemands, argentins…

L’idée est judicieuse quand on sait que ce cépage est à la mode et que le ­millésime 2016 de bourgogne est rare. Mais elle peut se révéler périlleuse, si elle emballe les « influenceurs » sans pouvoir satisfaire les ­consommateurs. Gare à l’offre qui ne serait qu’un effet d’annonce. « On reste pragmatique et on communique sur des choses qui peuvent être achetées, rassure Jean-François Rovire. Pour le pinot noir italien, par exemple, nous avons plus de 35 000 bouteilles. Donc, oui, il y en aura pour tous les clients. »

Points forts des ventes en ligne

Dans le ciblage de bouteilles, néanmoins, les sites de vente sur Internet ont un atout : ils n’ont pas besoin d’avoir un stock conséquent. Ce qui permet par exemple à Millésimes de proposer des bouteilles rares pour titiller l’amateur éclairé. « Nous proposons en moyenne 200 vins par foire aux vins, expose Aubert Bogé, directeur général du site. Il y a un mix entre les grands classiques et des exclusivités : la Grange des pères, le Domaine Jamet, des puligny de chez Ramonet, des saint-joseph de chez Chave… Il s’agit de pépites très difficiles à dénicher et qui vont faire le buzz. »

Petite innovation technique que seuls les sites de vente en ligne peuvent se permettre, Millésimes a lancé des coffrets de six « Vinottes », des mignonnettes de 20 ml permettant à ses clients de goûter les vins en échantillon avant de faire leur choix.

Le site de vente aux enchères iDealWine s’est également jeté dans la bagarre. Cyrille Jomand, son président, cible plutôt les millésimes « à maturité. « C’est notre axe constant. Ils peuvent avoir 5, 10 ou 20 ans, quand les grandes enseignes proposent généralement des millésimes de 1 ou 2 ans ».

Décotes surprenantes

Ne craignant pas de se mesurer aux plus grands, le site d’enchères (dont le prix moyen des bouteilles en foire est élevé, autour de 37 euros) joue même sur le terrain initial des ­super­marchés : les grands crus classés. « Mais chez nous, il y a la quantité ! Nous avons en grand nombre des icônes comme Pontet-Canet ou Lynch-Bages. Les Château Lafite, on en a 300 ! Les acheteurs peuvent vraiment en acquérir. » Mais à l’inverse de Millésimes, iDealWine affiche des décotes surprenantes, allant jusqu’à – 28 %. « Le circuit de la revente des vieux millésimes est plus variable, il permet de trouver des lots bien placés par rapport aux cotations », justifie Cyrille Jomand.

Des sommeliers aux supermarchés

Pour les supermarchés, les efforts se portent désormais sur l’accueil. Certes, les soirées de lancement ont fait leurs preuves depuis longtemps. Mais ce sont les rayons qui aujourd’hui prennent un coup de chic. Leclerc a recruté des sommeliers qui bichonnent leurs rayons vins, tel Olivier Rey à Saint-Vincent-de-Tyrosses, et adoptent un comportement de caviste.

Ce dernier revendique avoir « carte blanche pour les achats en direct. Et j’achète un vin plutôt qu’un prix. Je me considère comme sommelier avant d’être vendeur. Ici, la cave des vins supérieurs est séparée du rayon liquide. J’assume aussi de mettre en avant les petits propriétaires, plus que les grands châteaux, qui n’ont pas forcément besoin de nous. Mon rôle est de faire découvrir des propriétés qui me confient de petits volumes, inférieurs à 150 bouteilles ». « On a des rayons boucherie ou fromagerie très pointus, complète Jean-François Rovire de Système U. Le rayon ­caviste est sur le même plan. Il est soigné, mis en scène, loin des conserves de petits pois. »

Reste une différence de taille entre le caviste et la grande distribution : la présence du caviste lui-même. Pour corriger le tir, des supermarchés recrutent des sommeliers le temps de la foire, et les responsables du rayon vin restent postés pour aiguiller le client. Certains investissent même dans des bornes interactives.

L’arrivée du chatbot

Nouveauté pour 2017 : le chatbot. Présenté par les spécialistes du high-tech comme la prochaine révolution dans le vin, ce logiciel d’intelligence artificielle dialogue avec le client sur une application ou un site. Le 30 août, Carrefour a lancé son chatbot sur son site Jeréservemafoireauxvins, avant de le déployer sur l’ensemble du site Web. « Ce chatbot répond à deux exigences : simplicité d’utilisation et accès rapide à des offres mieux adaptées et plus personnalisées, se réjouit Thina Cadierno, directrice clients et digital chez Carrefour. Le vin nécessite un accompagnement plus important, avec des offres adaptées aux besoins, depuis le dîner entre amis à l’envie de refaire sa cave. Cette intelligence artificielle s’adaptera à toutes les thématiques. »

Après test, en effet, difficile de le prendre en défaut. A la requête « Je cherche un vin qu’on ne trouve pas en supermarché », le robot de Carrefour avait des bouteilles à proposer. Des bouteilles que l’on trouve, en effet, plus habituellement chez le caviste.

Trouver le bon prix

Petit changement, la grande distribution se fait discrète sur les vins à moins de 3 €, un temps vantés, pour mettre en avant une montée en gamme. Mais le consommateur ne suit pas forcément. Ainsi, Olivier Dauvers remarque que le prix moyen de l’offre ­ « se situe entre 12 € et 13 €. Mais le prix moyen d’une bouteille achetée est, lui, entre 6 € et 7 €. Le fossé est réel. Si les enseignes montent en gamme au moment des foires aux vins, le client les rappellent à l’ordre en achetant deux fois moins cher ». Quant aux étiquettes connues et recherchées des passionnés, pas question de tenter de gagner beaucoup ­d’argent dessus. Le directeur de Millésimes l’assure : « Quand on propose une promotion de 10 %, c’est un maximum. Si on en fait une de 30 %, on perd de l’argent. » Pour autant, gare à ne pas proposer les crus classés plus cher que dans d’autres enseignes ! Il faut donc anticiper. « Nous avons par exemple un magnifique Marquis de Terme, reprend Aubert Bogé. Nous l’avons acheté en février, sept mois avant la foire aux vins. A l’époque, c’était une excellente opportunité. Après les primeurs, les prix sont montés. Il faut trouver le bon tarif, c’est déterminant. »