Le chemin discret s’enfonce au milieu des champs de maïs pour déboucher dans une petite clairière où quelques cabanes sont encore visibles. C’est dans ce camp de fortune que pendant plus de deux ans et demi, les 205 familles, soit plus de mille personnes, du petit village de Rwamutunga ont tenu bon, après leur expulsion. « La vie ici était pénible. Nous avons vécu de travaux occasionnels, cherchant de la nourriture ou un peu de monnaie », se souvient George, un habitant du village. « Au moins dix-huit personnes dans le camp sont mortes en raison des privations pendant cette période », ajoute-t-il.

Nous sommes dans la région de Hoima, au cœur de l’Ouganda, non loin des futurs champs pétrolifères qui devraient permettre au pays d’entrer d’ici à 2020 dans le cercle des Etats producteurs. Total, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) ou encore Colas (filiale de Bouygues) y sont engagés dans de grands travaux d’infrastructures. Raffinerie, pipeline, et même aéroport international : le développement lié à l’extraction et au transport de l’or noir est porteur de beaucoup d’espoir pour le pays.

Des terres rachetées à prix d’or

Mais, pour réaliser ces projets, il faut des terres, beaucoup de terres. Or l’Ouganda est un pays densément peuplé, où la démographie galopante est déjà la cause d’une importante pression foncière. Et beaucoup de personnes tentent ainsi de s’arroger des droits sur les parcelles convoitées par les compagnies, pour se les faire racheter ensuite à prix d’or par l’Etat, seul à même de les acquérir pour les compagnies. C’est ce qu’explique Richard Orebi, coordinateur de Global Rights Alert, une ONG qui tente d’aider les villageois à obtenir les compensations légales. « Vous avez des terres qui n’appartiennent à personne depuis un siècle, et, d’un seul coup, quelqu’un affirme qu’il détient un certificat de propriété », s’insurge-t-il.

A Rwamutunga, les terres prévues pour héberger un centre de traitement des déchets pétroliers ont ainsi été accaparées par un gros propriétaire local, Joshua Tibagwa. Profitant des faiblesses du système d’enregistrement des terres, il s’est déclaré propriétaire de toute la zone et fait ordonner l’expulsion du village. « C’était en août 2014, explique George. La police et les militaires sont venus au petit matin, et nous ont tous forcés à quitter nos maisons, se souvient-il. Ceux qui se sont opposés ont été battus. Les maisons ont été brûlées, saccagées. »

Mais la brutalité de l’intervention n’entame pas la solidarité des villageois. Aidés par des autorités locales et des ONG, ils avertissent les médias nationaux et se font assister par des avocats qui défendent leur cause devant la cour de Masindi, capitale du district du même nom. « Nous avons également reçu le soutien du député Daniel Muheirwe Mpamizo, qui a plaidé notre cause devant le Parlement », poursuit George. L’affaire est devenue nationale, et éminemment politique, dans un pays où la population est à 80 % rurale.

Au moins 15 000 personnes expulsées

En janvier, le verdict tombe : l’ordre d’expulsion est jugé illégal par la cour de Masindi. Les avocats de la partie adverse obtiennent pourtant un nouvel arrêté. L’affaire est toujours devant les tribunaux. Les habitants ont depuis réintégré leurs terres, mais vivent encore dans des habitations de fortune, les dommages demandés par la cour n’ayant toujours pas été accordés.

Mais cette conclusion – provisoire – est un cas isolé dans cette région, où les affaires d’accaparement de terres se multiplient sans que les populations locales puissent réellement faire valoir leurs droits. Une ex-députée a ainsi fait expulser plusieurs centaines de personnes sur une parcelle qui appartenait à sa famille il y a plusieurs décennies – mais jusque-là délaissée –, et où devrait passer le prochain pipeline. Plus récemment, un cas impliquant un ministre a également fait la « une » des journaux. Des scandales qui ont poussé la commission d’enquête sur les terres à interdire le 31 août les transactions foncières dans le district de Hoima et aux alentours.

Difficile d’obtenir des chiffres exacts, mais au moins 15 000 personnes auraient déjà été expulsées dans la région. Un vieux militant estime que ce chiffre pourrait même atteindre les 50 000. « Souvent, poursuit Richard Orebi, les compensations prévues mettent des années à arriver, ce qui plonge les habitants dans des situations très difficiles. Parce que, sans la terre, vous ne pouvez pas vous nourrir, ni payer les frais de scolarité de vos enfants. Ici, la terre, c’est la vie. »

Des difficultés qui risquent de s’accroître. Le président Museveni a en effet débuté, lundi 4 septembre une campagne, via les radios locales, pour promouvoir un projet d’amendement de la Constitution, qui vise à faciliter et à accélérer les procédures d’expulsion en cas de travaux d’intérêt public.