Comme beaucoup d’entre vous, la famille Tubercule a entendu aux informations que le gouvernement a présenté ses ordonnances visant à réformer le droit du travail.

Après trois mois de concertations et près d’une cinquantaine de réunions, c’est le premier ministre, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, qui ont détaillé la réforme lors d’une conférence de presse.

Le texte dévoilé est la plus importante modification du droit du travail qu’ait connue le pays ces dernières années. Mais qu’est-ce que ça va changer pour la famille Tubercule ? Voici les cinq mesures phares pour notre famille d’employés, de patrons, d’étudiants. Une explication initialement réalisée pour l’édition du Monde sur l’application Snapchat, avec le concours du dessinateur Martin Vidberg.

Martin Vidberg

Richard est à la tête de la filiale française de Patates & Co. Comme son entreprise va mal, il souhaite réaliser un plan social. Un plan social, c’est lorsqu’une entreprise qui a des difficultés économiques licencie un certain nombre d’employés pour faire les économies qui lui permettront de survivre. C’est très encadré par la loi.

Jusqu’à maintenant, le code du travail spécifiait que c’était impossible si l’entreprise multinationale allait bien au niveau mondial. Patates & Co, dont le siège mondial est installé à New York, se portant bien, Richard ne pouvait donc pas licencier.

Les syndicats craignent la mise en place de faillites organisées pour pouvoir licencier

Mais après la réforme, cela va changer : une multinationale pourra ne prendre en compte que la santé de son entreprise dans le pays concerné.

Les syndicats craignent la mise en place de faillites organisées pour pouvoir licencier plus facilement. C’est-à-dire par exemple une filiale française qui transférerait de l’argent vers d’autres filiales internationales pour pouvoir dire qu’elle est en difficulté. Cela dépasse la loi El Khomri, qui interdisait « les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emploi ».

Martin Vidberg

Lucas vient de finir ses études de droit. Il prospecte des offres d’emploi dans des cabinets d’avocat. Que peut-il viser sur le marché du travail ?

Jusqu’à maintenant, Lucas pouvait être embauché en contrat à durée déterminée (CDD) pour une période de dix-huit mois maximum avec deux renouvellements de contrat. Passé ces délais, l’entreprise était tenue de lui offrir un contrat à durée indéterminée (CDI) si elle souhaitait le garder. Le CDI offre une grande protection au salarié et l’entreprise ne peut plus le licencier, sauf à de rares exceptions, comme un plan social ou une faute professionnelle grave.

CDI « de projet » valable seulement jusqu’au moment où la mission est accomplie

Après la réforme, Lucas pourrait directement être embauché en CDI… mais un CDI un peu particulier. Si l’entreprise a besoin de Lucas pour un projet précis, elle pourrait lui proposer un CDI dit « de projet » : il est valable seulement jusqu’au moment où la mission est accomplie.

Mais pour ce faire, il faudra avant qu’il y ait un accord entre syndicats et patronat concernant tout le secteur d’activité des cabinets d’avocats pour autoriser ce type de contrat. On appelle ça un accord de branche, et c’est seulement s’il est conclu que ces CDI de projet pourront être mis en place.

Le pari du gouvernement est qu’avec les CDI de projet, les patrons recourront moins aux CDD… mais la contrepartie est qu’ils pourraient également ne jamais proposer de véritable CDI à Lucas.

Martin Vidberg

Martine, qui travaille dans les assurances depuis quarante ans, a été licenciée de son entreprise pour une raison qu’elle juge abusive. Elle peut contester ce licenciement devant le tribunal des prud’hommes qui juge les différends entre employés et employeurs. Que peut-elle espérer comme indemnité ?

Aujourd’hui, le montant de ces indemnités est décidé seulement par le tribunal et peut atteindre, selon les cas, des centaines de milliers d’euros.

Après la réforme, les indemnités [de licenciement] seront limitées

Après la réforme, les indemnités seront limitées. Après trente ans d’ancienneté dans l’entreprise, un salarié ne pourra pas espérer plus de vingt mois de salaire, quel que soit le préjudice qu’il a subi. Cela permet ainsi aux entreprises de prévoir à l’avance, dans leur budget, le coût maximal d’un licenciement abusif. Les opposants à la loi craignent que cette mesure n’encourage cette pratique.

Le minimum touché est divisé par deux : il baisse de six à trois mois de salaire au bout de deux ans de présence dans l’entreprise. Enfin, le délai pour porter plainte est raccourci et passe de 24 à 12 mois.

En compensation de cette mesure défavorable aux salariés, le gouvernement a annoncé que les indemnités légales de licenciement (c’est-à-dire la somme qu’a touchée Martine au moment du licenciement comme dédommagement légal) seront augmentées de 25 %.

Martin Vidberg

Ariane, patronne d’une épicerie, propose à ses employés de modifier l’organisation de leur temps de travail parce qu’elle trouve qu’elle ne correspond plus à leur façon de travailler. Comment faire ?

Un accord sans la présence d’un délégué syndical

Aujourd’hui, la quasi-majorité des sociétés de moins de onze salariés ne dispose pas de délégué syndical, la personne chargée de mener les négociations avec l’employeur. Elles doivent alors s’en tenir à ce que prévoient déjà les accords de branche (qui concernent toutes les entreprises d’un même secteur d’activité) sans pouvoir négocier d’accord particulier en plus.

Après la réforme, l’employeur d’une société qui compte jusqu’à 20 salariés pourra proposer un accord sans la présence d’un délégué syndical. Un vote à la majorité dans l’entreprise suffira à le valider.

Martin Vidberg

Myriam est déléguée du personnel. Cela veut dire qu’elle représente les employés dans les instances dirigeantes de son entreprise.

Aujourd’hui, dans une entreprise, les employés sont représentés par :

  • les délégués syndicaux, qui négocient les accords avec l’employeur ;
  • le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui veille sur les conditions de travail ;
  • le comité d’entreprise (CE), qui surveille les intérêts des salariés dans la gestion et la stratégie globale de l’entreprise ;
  • les délégués du personnel, qui veillent à la bonne application du droit.

Après la réforme, il n’y en aura plus que deux : les délégués syndicaux et les délégués du personnel. Myriam va donc hériter de responsabilités élargies et s’intéresser à beaucoup plus de sujets qu’avant comme l’hygiène sur le lieu de travail, par exemple. Sans qu’elle sache pour l’instant quels moyens et combien d’heures de délégation lui seront alloués.