Raul Sendic, le 1er août, à Montevideo. / MIGUEL ROJO / AFP

L’espoir de la gauche uruguayenne s’est effondré avec la chute de Raul Sendic, 55 ans, vice-président de la République. Le Parlement de Montevideo devait examiner, lundi 11 septembre, sa lettre de démission, présentée samedi devant la coalition de centre gauche au pouvoir depuis 2005, le Frente Amplio (Front élargi).

Il est accusé par le comité d’éthique du Frente Amplio d’avoir utilisé des cartes de crédit de la compagnie pétrolière publique Ancap à des fins personnelles quand il en était le directeur, de 2008 à 2009 puis de 2010 à 2013. Le vice-président démissionnaire, qui ne fait pas l’objet de poursuites judiciaires, a en effet reconnu avoir dépensé l’équivalent de 3 700 euros à des fins personnelles pendant les cinq ans où il a été à la tête d’Ancap.

Il est le fils de Raul Sendic (1925-1989), son homonyme, fondateur de la guérilla urbaine des Tupamaros, qui avait multiplié les coups d’éclat dans les années 1960 et 1970 avant d’être démantelée par les militaires. Le charismatique ex-président José « Pepe » Mujica (au pouvoir entre 2010 et 2015) est aussi un ancien guérillero, qui avait enduré treize ans d’emprisonnement dans une caserne, dans des conditions sordides.

Mensonge sur un diplôme

Héritier de cette lignée prestigieuse, Raul Sendic avait passé une bonne partie de son enfance et de sa jeunesse à Cuba, en attendant la fin de la dictature militaire (1973-1985). Il est resté attaché aux Tupamaros lorsque la guérilla s’est convertie à la démocratie et aux joutes électorales. Le Frente Amplio rassembla les socialistes, les centristes et l’extrême gauche, sous la houlette de Tabaré Vazquez, élu maire de Montevideo en 1990.

De retour au pays, le fils prodigue milite dans les rangs de la gauche fidèle à Cuba et à l’Union soviétique. Il est élu député en 1999, sans parvenir toutefois à renouveler son mandat. Lorsque le socialiste Tabaré Vazquez est élu à la présidence de la République, le militant au nom légendaire décroche la vice-présidence d’Ancap, l’entreprise d’Etat chargée des hydrocarbures, du ciment et des boissons alcoolisées. Sous la présidence Mujica, il en devient le PDG.

Raul Sendic  (à droite) et le président Tabaré Vazquez, le 1er mars 2015 à Montevideo. / STRINGER / REUTERS

Raul Sendic forme son propre courant politique, en revendiquant le nom de son père. « Pepe » Mujica, 82 ans, voit en lui la chance de renouveau d’une gauche, dont le leadership est vieillissant. Quand Tabaré Vazquez, 77 ans, brigue un deuxième mandat, en 2015, le Frente Amplio lui choisit comme coéquipier la nouvelle star de la gauche, bien décidée à rééquilibrer la coalition face aux centristes et aux socialistes modérés.

Cependant, la presse et l’opposition s’intéressent de près à sa gestion d’Ancap, d’autant que l’entreprise est déficitaire. Les éventuelles irrégularités font actuellement l’objet d’une enquête judiciaire. En 2016, un journal révèle que Raul Sendic avait menti sur son diplôme universitaire de génétique, ramené de Cuba.

« Nous discutons pour quelques caleçons »

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été l’utilisation de sa carte de crédit d’Ancap pour des achats personnels (vêtements, bijoux, matériel électronique), dévoilée par un hebdomadaire en juin. La révélation de trop pour les Uruguayens, fiers de compter parmi les rares Latino-Américains à tirer leur épingle du jeu dans l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International.

Avec son franc-parler habituel, « Pepe » Mujica a tenté de défendre son poulain et de relativiser son écart de conduite, d’un montant de 3 700 euros, en le comparant aux malversations politiques des deux grands voisins, qui se chiffrent en millions : « Au Brésil, des valises d’argent apparaissent, en face [en Argentine], des bonnes sœurs balancent des valises d’argent, et nous, nous discutons pour quelques caleçons. »

Peine perdue. Samedi, un plénum national du Frente Amplio a estimé que la « responsabilité éthique et politique » de Raul Sendic était engagée. Ce dernier a donc présenté à la coalition et au chef de l’Etat sa « démission irrévocable », une première dans l’histoire de l’Uruguay. Le vice-président pourrait être remplacé par la sénatrice Lucia Topolansky, 72 ans, épouse de « Pepe » Mujica. Piètre consolation pour une gauche qui a du mal à passer le relais aux nouvelles générations.