Les militants du Front social ont manifesté le 30 août, à Jouy-en-Josas, durant l’université d’été du Medef. / Vincent Jarousseau pour M Le magazine du Monde

Alors qu’approche le 12 septembre, Cédric Quintin, secrétaire général de la fédération CGT du Val-de-Marne, est sous pression. Il a réuni ses troupes à Créteil pour faire le point sur les actions en cours en vue de la mobilisation contre la réforme du code du travail. « Il faut être lucide. Là, on va dans le mur. Il faut s’assurer que le minimum syndical soit fait : des propositions de départs collectifs, des tracts locaux… »

Philippe, chargé de l’organisation, reprend le micro pour un speech carrément terre à terre : le collage départemental d’affiches prévu le soir même. « On est 5-6 sur Créteil, j’ai personne sur Villeneuve-Saint-Georges… Est-ce qu’on reporte ? » Sa voix monte : « Faut bien qu’on ait conscience qu’on peut pas se louper, le 12 ! La banderole qu’on veut poser sur le pont de Nogent, le 5 septembre, elle fait 12 mètres, elle ne se pose pas à 3 ! Si elle se casse la gueule sur l’autoroute et qu’il y a un mort, c’est signé CGT ! » Pas simple de trouver des bras, à 7 heures du matin, le lendemain de la rentrée scolaire…

Les livreurs à vélo de Deliveroo ont protesté contre leurs conditions de travail, à Paris, le 28 août. / Vincent Jarousseau pour M Le magazine du Monde

Autre ambiance, mais même objectif, quelques jours plus tôt. Le 28 août, les livreurs à vélo de Deliveroo, moulés dans des tee-shirts fluo, faisaient le show Place de la République. Représentés par le Collectif des livreurs autonomes parisiens (CLAP), les cyclistes ont su capter l’attention médiatique, malgré la torpeur aoûtienne. L’occasion pour eux aussi d’appeler à la mobilisation du 12 septembre : « On représente le futur du travail, c’est notre devoir d’ubérisés de dire ce que ça implique », annonce Emile, la vingtaine, étudiant en anthropologie à Nanterre. Pour mobiliser les livreurs, pas franchement politisés, il enfourche son vélo et les traque, tracts en main, devant les restos de la capitale où ils attendent leurs livraisons. Le CLAP ne compte que 15 membres, mais ne manque pas d’idées. Steven, l’un de ses responsables, par ailleurs membre du NPA, espère parvenir à monter un « cortège des ubérisés », rassemblant des autoentrepreneurs de tout poil : VTC, guides touristiques, correcteurs de l’édition, professeurs particuliers, nounous, et même travailleurs du sexe.

Les anciens contre les modernes

Méthodes tradi d’un côté, agit-prop et buzz de l’autre. Travailleurs politisés et méthodiques contre autoentrepreneurs précarisés. La guerre des anciens contre les modernes ne favorise pas la mobilisation, mais tous connaissent l’enjeu : il faut sauver les meubles le 12 septembre. Car hormis la CGT, qui a pris l’initiative de la mobilisation dès le mois de juin, les partenaires sociaux ont attendu jusqu’au bout pour se positionner… Finalement, seuls Solidaires, l’UNEF, la FSU, FO dans plusieurs départements, et la CFE-CGC dans certaines entreprises, ont annoncé qu’ils rejoindraient le cortège.

Et la grande manifestation syndicale de la rentrée va aussi subir la concurrence de celle organisée par Jean-Luc Mélenchon, le 23 septembre. « Quelques dizaines de milliers de personnes dans les rues constitueraient déjà un succès symbolique, estime le chercheur Dominique Andolffato, spécialiste du syndicalisme. L’enjeu, pour les organisations de travailleurs, c’est de gagner en poids politique et de participer à la recomposition de la gauche. »

A la CGT, longtemps seule au front, l’on sait qu’une manifestation réussie, c’est beaucoup de travail. Et qu’il faut s’y prendre tôt. Dès juillet, certaines unions locales n’ont pas ménagé leurs efforts, malgré la canicule. « Pour être vus trois secondes à la télé », les militants de l’Essonne ont déployé des banderoles sur le passage du Tour de France. Des tracts ont été distribués un peu partout pendant les vacances (« même à l’aéroport d’Orly, où on était pistés par le service d’ordre d’ADP ! »).

Additionner les mécontents

A peine rentrés, les responsables franciliens se sont rassemblés à la Bourse du travail, le 23 août, pour une matinée de formation sur la loi travail. « C’est hyperimportant de ne pas laisser penser qu’on défend juste nos heures de délégation et nos élus », martèle l’animatrice. Dans la salle, ce jour-là, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la faible mobilisation des fonctionnaires. Benjamin, un prof d’histoire, déploie l’argumentaire censé faire mouche : « Il faut leur parler du gel du point d’indice, du rétablissement du jour de carence et des 120 000 postes qui vont sauter. »

Les vitres du RER portent les stigmates de cette rentrée sociale chargée. / Vincent Jarousseau pour M Le magazine du Monde

Réussir une manifestation, c’est parvenir à agréger des gens qui viennent de tous horizons, à additionner les mécontents. Dans le local du 8e arrondissement où se retrouvent les animateurs du Front social, une coordination d’associations et d’avant-gardes syndicales idéologiquement minoritaires (SUD Commerce, CGT Info’Com-CGT…), on s’inquiète surtout d’une possible absence des jeunes, malgré l’appel de l’UNEF à manifester : « Les coupes budgétaires qui vont frapper les facs, la question des APL, la réforme du bac, ça pourrait mettre le feu aux poudres, estime à son tour Victor, membre du Front social et représentant de la tendance trotskiste de l’UNEF. Mais le 12, les facs ne seront pas ouvertes, donc il n’y aura pas de cortèges structurés de jeunes », prévient-il.

Dans le RER qui, le 30 août dernier, les emmenait manifester devant le campus d’HEC à Jouy-en-Josas (78), où se tenait l’université d’été du Medef, les jeunes militants de Solidaires Etudiant-e-s entonnaient la Makhnovchtchina, un chant révolutionnaire ukrainien, pour se chauffer la voix. A leurs côtés, François, Evelyne et Christian, des retraités, membres d’Attac, se préparaient à interpréter des saynètes de leur composition contre la réforme : « On va les jouer toute la semaine, jusqu’au 12, aux sorties de métro et sur les marchés, à Paris, Nantes, Marseille et Périgueux », expliquent les trois compères. Il sera toujours temps de se compter, le jour J.