On connaissait le cas de l’acteur dédaignant les lauriers, à la manière de Marlon Brando qui avait refusé, en 1973, un Oscar pour son interprétation de Vito Corleone dans Le Parrain. Voilà le cas, inédit et nettement plus alambiqué, de l’Etat, qui, d’une main, applaudit un réalisateur distingué dans un festival international et de l’autre, le convoque devant les tribunaux.

L’infortuné s’appelle Ziad Doueiri. Samedi 9 septembre, ce cinéaste franco-libanais assistait à la clôture de la Mostra de Venise, au cours de laquelle le Palestinien Kamal Basha, interprète de son dernier film, L’Insulte, a reçu la coupe Volpi du meilleur acteur. Une excellente nouvelle pour le ministre de la culture du pays du cèdre, Ghattas Khoury, qui avait assisté à la projection du film sur le Lido et l’avait sélectionné pour représenter le Liban à la prochaine cérémonie des Oscars.

Mais dimanche 10, à son arrivée à l’aéroport de Beyrouth, en prévision de l’avant-première de son long-métrage programmé mardi, Ziad Doueiri a eu la surprise d’être interpellé par la sécurité. L’auteur en 1998 du très remarqué West Beirut, considéré comme l’un des meilleurs films sur la guerre civile libanaise, a été relâché deux heures et demie plus tard, sans ses passeports, et avec un ordre de comparution, le lendemain, devant le tribunal militaire.

Lundi après-midi finalement, après trois heures d’audience, le tribunal militaire de Beyrouth a accordé un non-lieu à Ziad Doueiri, en jugeant que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits.

Une œuvre tournée en Israël

En cause dans cet imbroglio : le précédent film de Ziad Doueiri, sorti en 2012, L’Attentat, adapté du roman homonyme de Yasmina Khadra. Cette œuvre, qui suit le calvaire d’un chirurgien arabe israélien cherchant à comprendre comment son épouse a pu commettre un attentat suicide à Tel Aviv, avait eu le tort, aux yeux de ses détracteurs, d’avoir été tournée en décor naturel, c’est-à-dire en Israël.

Un tel choix avait valu à ce film d’être interdit de projection dans la totalité des Etats arabes, sur décision du Bureau du boycottage d’Israël de la Ligue arabe, un organisme créé en solidarité avec les Palestiniens sous occupation. Au Liban, le ressentiment à l’encontre de l’Etat juif est avivé par le traumatisme de l’occupation de sa partie sud, par les troupes israéliennes, entre 1982 et 2000, ainsi que par le souvenir des gigantesques destructions causées par cette armée, en 2006, durant son conflit avec le mouvement chiite Hezbollah.

Les Libanais qui se rendent en Israël, avec lequel le pays du cèdre est officiellement toujours en guerre, s’exposent, en théorie, à une peine de prison ferme. Dans la pratique, Ziad Doueiri, qui réside à Paris, a pu revenir au Liban à plusieurs reprises depuis 2012, sans être inquiété. La raison pour laquelle il a été cette fois arrêté participe probablement du fonctionnement erratique – pour ne pas dire schizophrène – de l’appareil d’Etat libanais, aux mains de partis qui sont à couteaux tirés, comme par exemple le mouvement du Futur du premier ministre Saad Hariri et le Hezbollah.

« Un crime moral, politique et national »

L’affaire Doueiri est aussi le reflet de la pression croissante du camp intellectuel favorable à ce mouvement sur la scène culturelle locale. Dans un récent article, le rédacteur en chef du quotidien Al-Akhbar, Pierre Abi-Saab, avait ainsi sommé le cinéaste de « présenter ses excuses », au motif que L’ Attentat constituait « un crime moral, politique et national ». « Il arrive de Venise sur son cheval blanc, pensant que nous allons l’applaudir, mais nous n’avons pas oublié », écrivait le journaliste, figure de la gauche dite anti-impérialiste.

En juin 2006, le même cercle, arguant là encore de la nécessité de lutter contre la « normalisation » des relations avec Israël, avait appelé à juger l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf. L’auteur des Croisades vues par les Arabes était coupable, selon eux, d’avoir accordé une interview à la chaîne israélienne francophone i24 News. Une accusation que des acteurs de la vie culturelle libanaise avaient qualifiée à l’époque de « terrorisme intellectuel ».