Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, en 2014. / REUTERS / KAI PFAFFENBACH

Editorial du « Monde ». L’inquiétude est palpable du côté des entreprises et de certains économistes. Jeudi 7 septembre, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, en a parlé comme d’une « source d’incertitudes ». Depuis janvier, l’euro a grimpé de plus de 13 % face au billet vert. Aujourd’hui, il évolue autour de 1,20 dollar. Certes, on est encore loin du record de 1,60 dollar, atteint en avril 2008. Mais, interrogent avec appréhension les chefs d’entreprise, l’appréciation de la monnaie unique ne va-t-elle pas éroder notre compétitivité et miner la croissance enfin retrouvée ?

Cette crainte n’est pas nouvelle. Elle est très française. Et pour cause : les exportateurs de l’Hexagone sont particulièrement sensibles aux variations de prix, bien plus que leurs homologues allemands. L’euro fort entame leurs parts de marché à l’étranger. Mais c’est oublier que la France, en dehors de quelques multinationales et d’une poignée de PME, n’est pas un grand pays d’export – son déficit commercial de marchandises abyssal, qui a atteint 48,1 milliards d’euros l’an dernier, en témoigne. Qu’on s’en réjouisse ou le déplore, la France est d’abord un pays de consommateurs. Or, la hausse de l’euro fait mécaniquement baisser les prix des produits importés facturés en dollars, au profit du portefeuille des ménages. Au profit, aussi, des entreprises qui achètent à l’étranger une bonne partie de leurs composants et matières premières.

Ilot de sécurité

Si, à court terme, le niveau de l’euro est influencé par les paris des investisseurs (et des spéculateurs), il est pour l’essentiel, sur le long terme, déterminé par l’état de santé de la zone euro. Et celle-ci va mieux. Selon les économistes de la BCE, l’économie de la zone euro devrait croître de 2,2 % cette année, sans doute plus que celle des Etats-Unis. L’emploi repart. La consommation aussi. Les investisseurs reviennent, ce qui fait mécaniquement grimper l’euro.

Il y a un an encore, le Brexit et la menace populiste laissaient craindre le pire pour l’union monétaire. Elle a résisté. Mieux : ses dirigeants, notamment sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, ont repris les discussions sur le renforcement de ses institutions. Sa devise, promise à l’explosion au plus fort de la crise des dettes, apparaît aujourd’hui comme un îlot de sécurité au cœur d’un monde incertain. A l’inverse, les nuages s’amoncellent au-dessus de l’économie américaine, colosse aux pieds d’argile soumis aux frasques budgétaires et diplomatiques de Donald Trump.

C’est en cela que l’appréciation de l’euro est une nouvelle rassurante. Elle consacre les efforts accomplis ces dernières années pour sortir l’union monétaire de la crise et des doutes existentiels. Cela n’interdit pas, bien sûr, la vigilance. Moins que le niveau même de la monnaie européenne, c’est plutôt la rapidité avec laquelle elle a fluctué ces derniers mois qui préoccupe la BCE. Pour concurrencer un jour le dollar dans son rôle de pilier du système monétaire international, l’euro doit aussi devenir une devise stable.

Le chemin est encore long. Il exige de solidifier davantage la zone euro et sa gouvernance. Et de ne pas perdre de vue le fait que, en dépit de la croissance retrouvée, le terreau sur lequel le populisme et la tentation du repli national prennent racine, à savoir les inégalités, la désindustrialisation accélérée des régions en difficulté et le chômage des jeunes peu diplômés, reste dangereusement fertile.