Accusés d’avoir trop rapidement donné leur bénédiction à une présidentielle entachée d’irrégularités, les observateurs électoraux internationaux déployés au Kenya sont vilipendés de toutes parts depuis l’invalidation de la réélection du président Uhuru Kenyatta par la Cour suprême le 1er septembre.

Les intéressés se défendent toutefois d’avoir avalisé l’ensemble du processus électoral et tentent, appuyés par certains analystes, de décrypter cette controverse, admettant une communication ambiguë tout en regrettant une simplification de leur message par les médias mais aussi par un public kényan très polarisé et une opposition combative.

La polémique débute le 10 août, deux jours après le scrutin présidentiel.

Les chefs des missions d’observation se succèdent en direct sur les télévisions kényanes pour présenter leurs rapports préliminaires avec, en têtes d’affiche, l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry, représentant la Fondation Carter, et l’ex-président sud-africain Thabo Mbeki pour l’Union africaine.

« Encourager »

S’appuyant sur le déploiement de centaines d’observateurs, ils saluent la bonne tenue des opérations de vote, louent le travail de la Commission électorale (IEBC), mais rappellent aussi que les opérations de transmission des résultats – plus tard critiquées par la Cour suprême – et de comptage des voix sont toujours en cours.

Certains relèvent quelques irrégularités, d’autres s’inquiètent du manque de transparence du système électronique ou condamnent l’usage de fonds publics pendant la campagne.

« Peu de ces déclarations peuvent être lues comme des approbations retentissantes des élections », observe le centre d’analyse International Crisis Group (ICG). Mais, au final, « l’impression créée (…) était que les résultats étaient exacts, et qu’il était temps de passer à autre chose ».

Pour expliquer cette perception, les analystes notent d’abord le ton trop « approbateur » des observateurs, qui de leur propre aveu voulaient surtout « encourager ».

« A ce moment, nous étions préoccupés par la possibilité de violences », reconnaît Sarah Johnson, une responsable de la Fondation Carter.

Nic Cheeseman, professeur de politique africaine à l’université de Birmingham, relève à cet égard la position « difficile » des observateurs gardant toujours à l’esprit les violences qui avaient fait 1 100 morts à l’occasion de la présidentielle de 2007.

Certains observateurs internationaux, tels ceux de l’Union européenne (UE), ont été plus critiques. Mais les regards étaient surtout tournés vers les influents MM. Kerry et Mbeki, certains oubliant que le premier ne représentait pas les Etats-Unis mais une fondation.

Or les deux hommes sont passés très rapidement sur les irrégularités soulevées par l’opposition. Leurs appels à la paix et leur tonalité « beaucoup trop positive » ont résonné pour l’opposition comme autant d’appels à son candidat Raila Odinga à concéder la défaite, remarque un observateur kényan. John Kerry « a appelé ceux qui contestaient l’élection à saisir la justice ou à concéder la défaite, mais il a selon moi trop insisté sur la seconde option, notamment en évoquant son cas personnel » lors de sa défaite à la présidentielle américaine de 2004, estime la même source.

« Inconscient collectif »

Quelques jours plus tard, alors que l’IEBC tarde à publier l’ensemble des procès-verbaux des bureaux de vote, les principales missions d’observation sont beaucoup plus critiques, mais elles s’expriment alors par communiqués de presse « qui ont moins de poids qu’une conférence de presse », soutient l’observateur.

Marietje Schaake, députée européenne dirigeant la mission d’observation de l’UE, dénonce une compréhension partisane dans une société kényane « polarisée » : « Nous sommes critiqués pour presque tout ce que nous disons, par un camp ou par l’autre. » Elle estime également que de nombreux médias, kényans et internationaux, ont ignoré les nuances de son rapport préliminaire, souvent réduites à une phrase. « Les médias cherchent une réponse à une question, à savoir : “Les élections étaient-elles libres et justes ? »

Jeffrey Smith, directeur exécutif de Vanguard Africa, organisation américaine promouvant des élections libres et transparentes, soutient que les remarques des observateurs équivalaient à approuver le scrutin et dénonce plus généralement un manque de considération pour l’Afrique dans l’« inconscient collectif » : « Le niveau considéré comme acceptable pour des élections en Afrique est tellement bas qu’il est devenu vide de sens. Maintenant, quand les observateurs disent que des élections sont pacifiques, tout le monde entend libres, justes et crédibles”. »

Au point de remettre en question les missions d’observation régulièrement décriées ?

Pour l’écrivain nigérien Seidik Abba, qui critique sur le site du Monde Afrique (journal Le Monde) le « mercenariat » d’anciens chefs d’Etat ou ministres qui « reprennent leur avion au lendemain du scrutin », le cas kényan prouve que l’observation électorale en Afrique « telle qu’elle est pratiquée (…) est une mascarade qui doit tout simplement être abandonnée ».

Mais, pour l’ICG, « les observateurs, au même titre que les médias et d’autres organisations extérieures, peuvent jouer un rôle essentiel pour dissuader les abus et améliorer l’ambiance dans des environnements très polarisés », notamment en vue de la nouvelle présidentielle prévue le 17 octobre, qui sera âprement disputée.