Un immeuble de 58 étages aux normes LEED, en 2015 à Philadelphie. / Cindy Ord / AFP

Sommes-nous condamnés à devoir respirer un air vicié dans nos habitations, même lorsqu’elles sont rénovées avec des matériaux plus respectueux de l’environnement ? Le risque est en tout cas palpable, d’après les résultats d’une étude américaine publiée le 12 septembre dans la revue Environment International.

Les chercheurs y rapportent des données relatives à la qualité de l’air intérieur mesuré au sein d’habitations de Boston. Ces logements, fraîchement réhabilités selon les normes de la construction écologique, avaient obtenu le label vert international LEED (Leadership in Energy and Environment Design) pour leur efficacité énergétique, supérieure de 35 % à celle de logements standards.

Afin de discerner la pollution provenant des matériaux de rénovation de celle liée au mode de vie des habitants, les chercheurs ont procédé à des prélèvements en deux temps : d’abord dans les logements vides, puis après emménagement des résidents. A partir d’échantillons d’air et de poussière, ils ont quantifié les taux de près de 100 composés organiques volatils (COV) et semi-volatils (COSV), dont des retardateurs de flamme, des phtalates, des pesticides, des parfums, des solvants chlorés et le formaldéhyde.

« la plupart des bâtiments sont conçus sans que la santé des habitants soit prise en compte. Or, la pollution de l’air intérieur peut conduire à tout un panel de problèmes de santé »

Si la présence de certaines molécules dans les logements vides n’a pas surpris les scientifiques – notamment des solvants utilisés dans les peintures (cyclohexanone, toluène, éthylbenzène et xylène) –, ils ont également décelé plusieurs composés dont la présence est généralement attribuée aux produits d’entretien et aux objets du quotidien. Il s’agissait par exemple de deux benzophénones (BP et BP-3) – des filtres de synthèse utilisés dans les crèmes solaires – et du phtalate de dibutyle (DBP), normalement retrouvé dans les vernis à ongles et parfums. Selon les chercheurs, ces substances pourraient provenir des peintures – bien qu’elles soient à faible émission de COV – et des produits de finition des sols.

Autres types de molécules détectées : le TCIPP et le TCDIPP, deux retardateurs de flamme dont l’émission est d’ordinaire attribuée au mobilier et qui pourraient, en l’occurrence, provenir des matériaux d’isolation.

Il est à noter que les chercheurs n’ont pas inclus d’échantillons provenant d’habitations construites à partir de matériaux non durables, ce qui implique que le nombre et la concentration des polluants retrouvés ne peuvent pas être comparés sur le critère du type de logement.

Selon Robin Dodson, chercheuse au Silent Spring Institute et auteure principale de l’étude, « la plupart des bâtiments sont conçus sans que la santé des habitants soit prise en compte. Or, la pollution de l’air intérieur peut conduire à tout un panel de problèmes de santé. »

Le toluène et le xylène, par exemple, sont irritants et neurotoxiques, alors que certains retardateurs de flamme comme le TCDIPP sont associés à une perte de fertilité masculine. Des données sur l’homme et l’animal suggèrent que le filtre solaire BP-3 pourrait quant à lui être toxique pour la reproduction.

Le mode de vie également en cause

Par ailleurs, la présence de formaldéhyde – une substance biocide et conservatrice, classée comme cancérogène avéré pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) – a été détectée à la fois avant et après emménagement des résidents. Les sources de contamination par cette substance sont en effet diverses : matériaux de construction, panneaux de particules, meubles, produits d’hygiène, mais aussi fumée de cigarette et cuisson des aliments.

L’émanation d’autres molécules polluantes a été attribuée de façon spécifique au mode de vie des résidents. C’était le cas notamment du triclosan – un antibactérien contenu dans certains produits d’hygiène et suspecté d’avoir un effet perturbateur endocrinien – ou encore de parfums de synthèse.

Alors que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) rappelle que nous passons « en moyenne 85 % de notre temps dans des environnements clos », le risque sanitaire lié à la qualité de l’air intérieur pourrait s’avérer majeur et fait l’objet d’une attention croissante de la part des autorités.

En France, l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) mènent depuis 2012 une étude sur la qualité de l’air intérieur et le confort des bâtiments performants en énergie, comprenant la mesure de 16 COV et 3 aldéhydes, dont le formaldéhyde. Une synthèse globale des données, collectées sur une centaine de bâtiments, est attendue pour 2017.

Pas encore de limites réglementaires

Dans un rapport d’expertise émis en 2011 et actualisé en 2016, l’Anses propose des « valeurs guides de qualité d’air intérieur » (VGAI) pour onze polluants, dont le formaldéhyde. Ces données indicatives, qui visent à définir au cas par cas les effets sur la santé d’une exposition aux polluants chimiques de l’air intérieur, ont pour objectif de constituer un cadre de référence pour l’établissement de « valeurs réglementaires de surveillance ».

A la différence de l’air extérieur, il n’existe pas de valeur réglementaire relative aux concentrations des polluants dans l’air intérieur des habitations – excepté pour le radon, le monoxyde de carbone et l’amiante. Seul le signalement par étiquetage des produits de construction et de décoration destinés à un usage intérieur (revêtements, cloisons, matériaux d’isolation, etc.) est obligatoire, avec un classement de A + à C en fonction des taux d’émission de dix COV et du paramètre « composés organiques volatils totaux ».