Une trentaine d’hommes masqués et armés apparaissent sur une vidéo anti-ours envoyée de manière anonyme à plusieurs médias ariégeois. / France 3

« Nous, montagnards d’Ariège, éleveurs, randonneurs, chasseurs, élus, citoyens, disons à l’Etat, ça suffit. » Dans une vidéo qui n’est pas sans rappeler les mises en scène du Front national de libération de la Corse, une trentaine d’hommes cagoulés et armés, filmés de nuit, annoncent qu’ils s’opposent à la politique du gouvernement en matière de gestion des ours dans les Pyrénées.

« Par l’introduction d’ours slovènes, puis la création d’une pouponnière leur permettant de se multiplier, l’Etat français met en place une gestion du territoire où, peu à peu, il limite aux hommes, aux femmes de la montagne, l’accès, la liberté d’être, de faire, de travailler, indiquent-ils. L’Etat est resté sourd face aux demandes de nos aînés, de nos organisations citoyennes et professionnelles. » « Nous avons décidé de rouvrir la chasse à l’ours en Ariège et de mener une résistance active face aux agents de l’Etat », conclut la voix anonyme et rocailleuse, ponctuée de deux coups de fusil.

« Simagrée d’organisation terroriste »

La vidéo, qui dure près de 2 minutes, a été reçue par plusieurs médias ariégeois jeudi 14 septembre, sous la forme d’une clé USB envoyée dans une enveloppe anonyme. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Foix vendredi. La peine maximale encourue pour le chef d’accusation de « participation avec armes à un attroupement par des personnes dissimulant volontairement leur visage » est de cinq ans de prison, 75 000 euros d’amende et l’interdiction de détenir des armes. L’enquête, confiée au groupement de gendarmerie de l’Ariège, devra « déterminer s’il ne s’agit pas d’un canular et quels sont les auteurs de cette vidéo », indique Karline Bouisset, la procureure de la République.

La préfecture de l’Ariège a dénoncé, de son côté, une « dérive pathétique dans la violence et dans l’illégalité ». « Cette simagrée d’organisation terroriste, s’il ne s’agit pas d’un canular, porte préjudice à tous ceux qui défendent le développement des territoires ruraux et de montagne », assure-t-elle dans un communiqué. La préfète de l’Ariège, Marie Lajus, invite les responsables professionnels, institutionnels et politiques à « marquer leur désaccord avec ceux qui franchissent la ligne de l’illégalité et condamner cette nouvelle irruption de violence et d’usage des armes ».

Climat très tendu

Ces images interviennent dans un climat des plus tendus en Ariège, le département qui abrite la majorité des 39 ours du massif pyrénéen. Le 25 août, quatre agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, qui devaient établir un constat de dommages dus au plantigrade près d’Auzat, avaient été accueillis par une cinquantaine de coups de feu et « une trentaine de personnes agressives ». Si ces dernières n’ont pas fait de blessés, elles ont proféré des « propos menaçants » et crevé les pneus du véhicule des fonctionnaires. Une enquête judiciaire avait été ouverte pour « violences avec armes » tandis que le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, « condamnait sans réserve cette agression inadmissible ».

Le 29 août, la majorité socialiste du conseil départemental avait demandé le retrait des ursidés et leur retour dans leur pays d’origine, la Slovénie, trois jours après que des éleveurs avaient bloqué les accès de la ville de Saint-Girons à l’heure du marché. Et au début du mois, le maire de la commune d’Ustou, Alain Servat, prenait un arrêté interdisant « toute divagation d’ours » dans sa commune, pour alerter des « dangers que représente l’animal » et « renvoyer l’Etat à sa responsabilité ».

En cause derrière cette poussée de fièvre : la multiplication des attaques cette année, après une décennie de stabilité durant laquelle le nombre d’ours avait pourtant doublé. Selon les dernières données de la préfecture de l’Ariège, le plantigrade a tué 432 bêtes, auxquelles pourraient s’ajouter 57 autres dont les dossiers n’ont pas encore été examinés. En 2016, elles étaient 162. Une explosion des chiffres qui s’explique en partie par un événement exceptionnel : dans la nuit du 16 au 17 juillet, 209 brebis du groupement pastoral du Mont-Rouch, près de Couflens, ont « déroché », c’est-à-dire chuté d’une falaise, effrayées par un ours qui a attaqué le troupeau.

« Années d’impunité et de laxisme »

Pour l’association pour la sauvegarde et le patrimoine d’Ariège-Pyrénées (Aspap), qui regroupe éleveurs, chasseurs et habitants opposés à l’ours, cette « vidéo n’est pas étonnante, vu le climat actuel en montagne ». « On ne sait pas d’où elle vient, mais je ne pense pas que ça soit un canular », juge Rémi Denjean, éleveur et membre du bureau de l’Aspap. L’association dit avoir « tendu la main à l’Etat », jeudi, en proposant la création d’une zone de présence sur le massif où les ours seraient tolérés et d’une zone sans prédateur, favorable au pastoralisme.

« Cette vidéo, bien que grotesque, contient des menaces explicites et graves contre les ours et les agents de l’Etat », dénonce de son côté Alain Reynes, le directeur de l’association Pays de l’ours-Adet, qui défend le plantigrade. Le militant rappelle que « la guerre des demoiselles », que la vidéo dit vouloir relancer, était une « résistance clandestine et délictueuse », entre 1829 et 1832 en Ariège, contre l’Etat qui souhaitait réformer le code forestier. « Des jeunes gens se déguisaient en femmes et molestaient les agents de l’Etat », détaille-t-il.

« Cette vidéo s’inscrit dans une escalade de la violence qui nécessiterait une réaction plus forte du gouvernement. C’est le résultat d’années d’impunité et de laxisme de l’Etat, qui n’est pas clair par rapport à sa politique. Va-t-il céder à la menace ? », interroge-t-il. Alain Reynes, comme d’autres responsables d’ONG, demande à Nicolas Hulot de relâcher de nouveaux ours, en priorité dans les Pyrénées-Atlantiques, pour « renforcer une population qui reste menacée » et alors que les dernières réintroductions datent de 2006, après celles de 1996 et 1997. Le ministère, de son côté, indique « étudier toutes les options », précisant qu’« aucune décision n’a été prise et qu’aucun calendrier n’est défini ».