Le ministre russe de la culture Vladimir Medinski à Moscou, le 12 septembre 2017. / SERGEI KARPUKHIN/REUTERS

Hormis son horaire très matinal – 8 h 30 –, la rencontre entre la ministre de la culture française, Françoise Nyssen, et l’un de ses homologues européens, le Russe Vladimir Medinski, samedi 16 septembre, a toutes les apparences de la banalité. Ces rencontres bilatérales, à tous les niveaux ministériels, sont en effet fréquentes. Mais la venue à Paris de M. Medinski intervient alors que le monde de la culture russe est en ébullition, effrayé par ce qu’il ressent comme un brutal serrage de vis du pouvoir.

Le ministre russe sera arrivé la veille à Paris, pour inaugurer, dans le cadre des Journées du patrimoine, une exposition à la résidence de l’ambassadeur russe consacrée aux cadeaux diplomatiques de Pierre Le Grand. L’événement est d’ampleur bien moins modeste, mais la Russie vogue sur le succès de l’exposition de la collection Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton, qui a attiré 1,25 million de visiteurs.

Persécution à caractère politique

Ce bon vent ne suffira probablement pas à faire oublier le climat pesant qui règne à Moscou, particulièrement autour du cas du metteur en scène Kirill Serebrennikov, figure majeure de la scène russe contemporaine, soupçonné par les autorités de détournement de fonds publics évalué à 68 millions de roubles (environ 1 million d’euros) entre 2011 et 2014 pour le projet « Plate-forme ».

M. Serebrennikov, directeur artistique du Centre Gogol, théâtre contemporain bien connu dans la capitale russe, encourt jusqu’à dix ans de prison et est assigné à résidence jusqu’au 19 octobre (une date qui pourra être prolongée) dans l’attente de son procès. Ses soutiens en Russie et en France – une cinquantaine d’artistes français se sont réunis le 10 septembre pour demander la fin des poursuites – dénoncent une persécution à caractère politique, visant un trublion de la scène russe, de plus en plus en butte aux ultraconservateurs orthodoxes.

Au ministère de la culture français, on assure que Mme Nyssen est « particulièrement soucieuse et attentive au dénouement de cette affaire » et « fera part de ce sujet au ministre de la culture Medinski en souhaitant un dénouement rapide dans le respect des règles de l’Etat de droit ». En visite à Moscou, vendredi 8 septembre, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’était déjà dit « soucieux » de la situation du metteur en scène, mais la marge de manœuvre paraît limitée. Dans une interview au Figaro, jeudi, M. Medinski réaffirme que l’affaire « n’a aucun rapport avec la politique ».

Campagne de harcèlement

Le cas de Kirill Serebrennikov n’est pas le seul à jeter le trouble en Russie. Depuis plusieurs mois, avant même sa sortie nationale prévue le 26 octobre, le film Matilda, qui raconte une amourette entre le dernier tsar Nicolas II et Mathilde Kschessinska, une danseuse, morte à Paris en 1971, fait l’objet d’une violente campagne de harcèlement de la part d’activistes orthodoxes, qui a donné lieu à plusieurs actes de violence. Dans son interview, Vladimir Medinski se dit « indigné » par cette « campagne d’hystérie planifiée », mais celle-ci reçoit le soutien de députés et proches du Kremlin.

Ces derniers mois, les départs en exil du réalisateur Vitali Manski ou de l’artiste actionniste Piotr Pavlenski avaient déjà mis en émoi la scène russe, tout comme, dans une moindre mesure, la condamnation à vingt ans de prison du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, arrêté en Crimée et accusé d’avoir fomenté des actions terroristes.

Accusations de plagiat

Vladimir Medinski sera-t-il attentif aux inquiétudes exprimées par Françoise Nyssen ? Agé de 47 ans, en poste depuis 2012, le ministre semble en parfaite harmonie avec la doctrine nationaliste et conservatrice en vigueur à Moscou, et s’accomoder sans difficulté de la tendance à la fermeture que celle-ci implique. Avant son arrivée au ministère de la culture, M. Medinski était connu pour ses ouvrages inspirés d’un nationalisme pointilleux, cherchant à débusquer les « stéréotypes » dévalorisants forgés par les étrangers sur la Russie.

Sa thèse, soutenue en 2011, intitulée Défauts d’objectivité des savants étrangers dans l’étude de l’histoire russe des XV-XVIIe siècles, ne cesse d’agiter la communauté scientifique, pas seulement pour les accusations de plagiat qui ont été soulevées. En 2016, trois historiens et professeurs d’université demandaient le retrait du titre de docteur en histoire du ministre, dénonçant « un texte qui ne peut pas être considéré comme relevant de la recherche historique, truffé d’erreurs factuelles qui sont difficiles à imaginer, même dans les travaux d’un étudiant en histoire ».

En ouverture de ce travail, M. Medinski avançait assez clairement sa méthodologie et sa conception de la science historique : « La première question à laquelle doit répondre honnêtement la science historique est de savoir si tel événement particulier ou telle action particulière servent l’intérêt du pays et du peuple. Cette pensée des intérêts nationaux de la Russie constitue la norme absolue de la vérité et la fiabilité du travail historique. »