Le nouveau tribunal de grande instance de Paris, signé Renzo Piano, dans le quartier Clichy-Batignolles. / RPBW, PH. FRANCESCA AVANZINELLI

« Nous sommes entrés dans une nouvelle ère », assure Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme et de l’architecture. Une ère verticale. Méprisée pendant des décennies, la tour reprend du galon dans la capitale.

Terminés cet été, les « blocs empilés » du tribunal de grande instance de Renzo Piano culminent à 160 mètres au-dessus des Batignolles, dans le 17e arrondissement. Six projets d’immeubles de grande hauteur sont lancés dans le 12e arrondissement et trois dans le 13e arrondissement, sans compter les tours Duo de Jean Nouvel, avenue de France, dont la livraison est prévue pour 2021. Hautes de 180 et 122 mètres, ces jumelles de verre asymétriques, plus inclinées que la tour de Pise, se verront aussi bien depuis le périphérique que du centre de Paris. Mais le chantier à peine démarré, certains se demandent déjà comment elles vieilliront.

« La tour parisienne (...) ne semble pas avoir vu le jour. Il est donc temps de l’inventer ! » Luis Fernandes, architecte

Élever un gratte-ciel relève en effet de l’exploit à Paris, qui est l’une des villes les plus plates et les plus denses au monde. Si Jean Nouvel savoure sa victoire (après plusieurs projets de tours avortés), le duo Herzog & de Meuron ne peut pas en dire autant : malgré son permis de construire, leur tour Triangle voit son premier coup de pelle sans cesse retardé par les recours déposés. « Certains collectifs, associations et élus parisiens ont banni les tours de leur conception urbaine, et sont systématiquement contre », regrette Jean-Louis Missika.

Ouvrir les tours sur la rue

Le symbole de ce « traumatisme » est la tour Montparnasse (210 m) – le nom de l’agence chargée du projet de sa rénovation sera connu le 19 septembre. « Isolée, à la différence des buildings de Manhattan, elle est devenue un monument malgré elle », affirme l’architecte Luis Fernandes, auteur du blog « Haussmanhattan ». Régulièrement qualifiée de « verrue architecturale », la tour porte en elle les stigmates de l’urbanisme expérimental des années 1970, auxquels s’est ajouté le style uniforme et mondialisé du gratte-ciel. « Des parallélépipèdes clonés, des tours parachutées… », soupire Jean Nouvel. « En fin de compte, la tour parisienne, et plus largement européenne, ne semble pas avoir vu le jour. Il est donc temps de l’inventer ! », lance Luis Fernandes.

Le chantier de la tour Triangle de Herzog & de Meuron (à g.), porte de Versailles, se heurte à de multiples recours juridiques. Les tours Duo de Jean Nouvel (à dr.) s’élèveront dès 2021 avenue de France, dans le 13e arrondissement. / HERZOG & DE MEURON BASEL/ATELIERS JEAN NOUVEL, L’AUTRE IMAGE

Mais à quoi ressemblerait-elle ? « L’objet le plus haut de la ville doit avoir du caractère », estime Jean Nouvel, pour qui « se passer des tours, c’est comme se priver dans son vocabulaire d’un qualificatif explosif ». « Il faut aussi doter ces verticales de toutes les performances énergétiques et écologiques en vigueur », ajoute Jean-Louis Missika. « Ces tours ne peuvent plus être des espaces fermés, elles doivent offrir quelque chose de plus à la ville », estime quant à elle l’architecte américaine Jeanne Gang, dont la Vista Tower (362 m), à Chicago, permettra un passage piétonnier vers la rivière.

Cette ouverture s’impose d’autant plus à Paris que « l’urbanisme de dalle [la séparation totale des cheminements piétons et de la circulation automobile] a fait des ravages, coupant les tours de toute connexion avec la rue », explique Luis Fernandes. En finale de la compétition Montparnasse, Jeanne Gang rappelle qu’une concertation en amont doit être menée pour qu’une nouvelle tour soit acceptée : « Des idées très justes peuvent aujourd’hui venir des habitants, il faut les entendre. » Une chose est sûre, la tour parisienne restera celle du périphérique. En raison d’un plan local d’urbanisme (PLU) très strict, il est peu probable que des gratte-ciel poussent en plein centre-ville. « Les périphéries nous intéressent pour implanter des grandes hauteurs, car notre but est de créer de nouvelles centralités », précise Jean-Louis Missika. Pour, à terme, attirer les investisseurs déçus du Brexit et accueillir les futurs Jeux olympiques…