La saison des mariages touche à sa fin. Cet été encore, Alex* n’a pas trouvé la bonne personne avec qui contracter un mariage de convenance. Une union tant souhaitée qui aurait pu lui permettre de vivre son homosexualité sans subir « la pression latente » de sa famille. Alex a 33 ans, est originaire d’Algérie et est musulman pratiquant. Il a un bon travail. Il est cadre supérieur à Lyon, employé par une administration d’Etat dans le domaine de la construction. Il y a un an, le jeune homme a décidé de sauter la pas et de lier sa vie à une jeune femme lesbienne, de préférence de la même origine que lui. Il souhaitait « organiser une vie de couple avec une partenaire de vie de long terme, tout en permettant à chacun de vivre des engagements sentimentaux ailleurs ».

Ruptures familiales en perspective

Comme beaucoup de personnes lesbiennes et gays d’origine maghrébine, il n’a jamais pensé à avouer son orientation sexuelle à ses parents. « Tout le monde n’a pas la même capacité d’acceptation, les épreuves douloureuses ne sont pas forcément un passage obligé », confie Alex. Pour la sociologue Salima Amari, auteure en 2015 d’une thèse intitulée Des équilibres instables : construction de soi et relations familiales chez les lesbiennes maghrébines migrantes et d’ascendance maghrébine en France, « ces personnes sont obligées de se marier car elles refusent de faire leur coming-out ».

Avouer son homosexualité pourrait avoir de lourdes conséquences : des ruptures familiales non seulement douloureuses à surmonter au niveau affectif – l’importance du lien familial étant particulièrement marqué dans un contexte migratoire –, mais également en termes socio-économiques, d’isolement et de marginalisation sociale. Le mariage alors apparaît pour ces personnes comme la seule manière de vivre leur orientation sexuelle. Comme le souligne Laure Anelli, dans son enquête sociologique réalisée en 2009-2010 intitulée Au-dessus de tout soupçon ? L’entrée dans l’homosexualité de filles de migrants nord-africains, « le mariage peut être vu ici comme un cadre malléable, au sein duquel les personnes inventent les termes d’arrangement. (…) De contrainte, il devient le moyen de parvenir à des fins désirées ».

Sur Internet, les annonces ainsi que les groupes Facebook dédiés aux mariages de convenance émanant de gays comme de lesbiennes, d’une rive à l’autre de la Méditerranée, abondent. Comme Alex, d’autres homosexuels et lesbiennes postent des messages sur des groupes Facebook pour ne plus avoir à subir la pression de leur famille et vivre leur relation homosexuelle librement. Depuis ses premiers pas sur Internet, Alex a rencontré plusieurs jeunes femmes, des musulmanes pour la plupart, mais cela n’a pas abouti. Soit la personnalité ne collait pas, soit la femme avait pour projet d’avoir un enfant, ce qui n’était pas forcément le sien.

Désir de maternité

« Les filles sont moins soumises à la pression familiale. Il s’agit sûrement davantage d’une pression liée au désir de maternité qui les motivent », observe Alex. La sociologue Salima Amari rapporte que l’interdit parental (principe de virginité) permet aux jeunes femmes jusqu’à l’âge de 25 ans de vivre des relations homosexuelles, même si toutefois elles restent confinées au secret. « L’homosociabilité est souvent encouragée socialement car elle rassure les parents qui ne craignent pas que leurs filles perdent leur virginité. »

Au-delà de cet âge, les femmes, au même titre que les hommes, sont soumis à la pression du mariage et de la parentalité. « Des injonctions qui peuvent s’expliquer, selon Salima Amari, par deux éléments liés : la contrainte sociale et familiale et l’intériorisation de l’importance de perpétuer la descendance. »

Au Maroc, Karima* n’a pas pu échapper aux phrases insistantes de ses parents qui l’ont sommée de se marier et de devenir mère. Pour contenter sa famille, la jeune femme de 28 ans a cédé et posté une annonce sur Internet pour faire un mariage de convenance et avoir des enfants avec un gay marocain musulman. Un choix qui n’est pas anodin. « D’abord, cela fait plaisir à la famille. Tant qu’à donner le change, autant le faire bien en choisissant un “faux mari” qui corresponde aux critères du gendre idéal. Les parents sont souvent demandeurs et parfois même exigeants de mariages endogames », explique la sociologue.

« Vraies belles familles »

En Algérie, cela fait deux ans que Ryan*, 26 ans, cadre dans la sûreté nationale, cherche un homme. En vain. « Tous veulent avoir des enfants », explique la jeune femme qui vit à l’est du pays. Ryan recherche un faux mari de nationalité française pour fuir sa famille et surtout vivre avec « sa femme », qui habite en France. Ce projet de mariage, Ryan l’a élaboré avec sa compagne pour « vivre ensemble, en paix ». La jeune femme ne recherche pas un partenaire de vie, car elle souhaite divorcer peu de temps après le « faux mariage ». Même envie chez Sarah*, Algérienne de 30 ans, et de sa petite amie de 34 ans qui ont fait le choix d’un mariage de convenance pour « être libre » et fuir ce gouffre où on est condamné à « l’hétéro-normativité ».

Pourtant, comme le souligne Salima Amari, très peu de personnes homosexuelles arrivent à décrocher ce précieux sésame vers leur liberté : « Au moment de passer à l’acte, les personnes se rendent compte des difficultés qui les attendent. C’est un faux mariage, mais ce sont des vraies belles familles avec tout ce que cela comporte de situations à gérer au quotidien. » Sur les cinquante personnes que la sociologue a interrogées dans le cadre de sa thèse, seulement deux ont contracté un mariage de convenance.

*Les prénoms ont été modifiés.