L’institut médico-éducatif de Moussaron, à Condom (Gers), en 2014. / PASCAL PAVANI / AFP

Sur le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Toulouse, où elle devait comparaître, mardi 19 septembre, pour diffamation, Céline Boussié « ne se [sentira] pas à sa place ». Comme trois lanceurs d’alerte avant elle, cette ancienne employée de l’institut médico-éducatif (IME) de Moussaron, à Condom (Gers), est poursuivie par le centre « pour avoir rompu la loi du silence et tenté de faire connaître la vérité ». Celle de vingt ans de maltraitance présumée, visant des jeunes polyhandicapés, pensionnaires de cette structure de droit privé qui reçoit des financements de l’Etat.

A l’aube de son procès, alors que trois compagnons d’infortune ont, eux, été condamnés, Céline Boussié se dit « d’une sérénité absolue », forte d’une myriade d’éléments attestant qu’elle « n’a pas menti ». « J’ai simplement voulu rendre leur dignité à ces enfants », résume la mère de famille de 43 ans, poursuivie aux côtés d’Europe 1, qui l’avait interviewée en 2015.

Quand elle arrive au sein de l’établissement, en 2008, ignorant tout des précédents signalements, Céline Boussié, qui a travaillé auparavant auprès de personnes âgées, constate rapidement « que des choses dysfonctionnent de manière très grave ». La mère de famille, à la voix jusqu’ici assurée, ploie à l’évocation de « ces souvenirs dont on ne se remet jamais ». En sanglots, elle raconte « le manque de soin, l’insuffisance sanitaire, l’absence d’intimité et les “camisoles chimiques” [neuroleptiques qui rendent les enfants apathiques] ».

A cette « déshumanisation des enfants polyhandicapés » s’ajoute la « violence du personnel », insuffisamment formé et en sous-effectif. « Chaque employé devait gérer seul un groupe de neuf enfants polyhandicapés », explique Bernadette Collignon, ancienne employée, licenciée en 2000 pour faute grave, après avoir dénoncé avec une collègue les mauvais traitements infligés aux patients, et elle-même condamnée pour diffamation.

La lanceuse d’alerte Céline Boussié, le 17 octobre 2016, devant le tribunal de Toulouse. / PASCAL PAVANI / AFP

Pour ne pas connaître le même dénouement judiciaire, Céline Boussié a mené pendant cinq ans « une résistance de l’intérieur », en recueillant « un maximum de preuves ». De guerre lasse, elle craque en mai 2013. Arrêtée par son médecin, elle dépose un signalement auprès de l’agence régionale de santé Midi-Pyrénées (ARS), qui diligente une enquête. Le rapport de 400 pages, rendu à l’automne de la même année, fait état de « graves dysfonctionnements susceptibles d’affecter la santé, la sécurité, le bien-être physique et moral, le respect de la dignité des jeunes accueillis ». Face à ces « maltraitances institutionnelles », la ministre déléguée aux personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, place l’établissement sous administration provisoire et dépose une plainte pour abus de bien social et abus de confiance, en novembre 2013.

Deux mois plus tard, une enquête de « Zone interdite », sur M6, finit de jeter l’opprobre sur l’établissement. Sur les images, tournées en caméra cachée par un employé anonyme, des enfants sont assis en rang d’oignons sur des seaux où ils font leurs besoins. Tous dorment attachés à des lits à barreaux trop petits, et certains sont enfermés dans des box en Plexiglas.

Avanies

A la suite de la diffusion du reportage, Céline Boussié reçoit un message d’une employée sur Facebook : « A toi espèce de grande salope (…) tu le regretteras. » La première d’une longue série d’avanies, qui perdure encore aujourd’hui. « Un acharnement sans nom », qui lui vaudra d’être placée sous protection policière à l’été 2014, notamment après avoir reçu des tracts de menaces dans sa boîte aux lettres.

Quelques mois plus tôt, après un an d’arrêt maladie, Céline Boussié a été licenciée pour « inaptitude à tout poste ». Dans ce contexte, « retrouver du travail est peine perdue », à l’instar de nombreux lanceurs d’alerte, qui évoquent « le suicide professionnel » comme corollaire inévitable de leurs révélations.

Sur les dix plaintes déposées contre l’institut par des familles et celle déposée par la ministre de l’époque, aucune n’a abouti à un procès.

Comment ces situations de maltraitance ont-elles pu perdurer pendant deux décennies ? Bernadette Collignon, membre du collectif de soutien à Céline Boussié, évoque pêle-mêle des gérants d’établissement « soutenus à un très haut niveau », des parents dans la crainte de ne pas retrouver d’établissement, des employés « prêts à tout pour éviter le chômage », dans une zone où l’IME est l’un des principaux employeurs.

Sur les dix plaintes déposées contre l’institut par des familles et celle déposée par la ministre de l’époque, aucune n’a abouti à un procès. Pour le sien, Céline Boussié n’a pu compter sur le soutien d’aucun employé ; seules deux familles viendront témoigner en sa faveur – même si, à l’extérieur, elle bénéficie de nombreux appuis, dont la CGT-santé et le collectif des lanceurs d’alerte dont elle est membre.

En octobre 2014, l’ARS a renouvelé l’agrément du centre, en réduisant sa capacité d’accueil de 85 à 55 places, assurant que, désormais, les enfants sont logés « dans des conditions convenables ». Mais Céline Boussié qui a, depuis, créé l’association Handi’gnez-vous ! pour soutenir ceux qui hésitent à dénoncer la maltraitance, reste convaincue « qu’une chape de plomb » pèse sur cette structure. Son avocat, Fiodor Rilov, qui plaidera la relaxe, espère que ce procès « mettra en lumière ce qu’il s’est passé », pour « donner du sens à ces années de combat et de sacrifices ».