Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, et Emmanuel Macron, le 26 mai, lors du G7, à Taormine, en Sicile. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Le nouvel accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Canada (CETA), qui entre provisoirement en vigueur, jeudi 21 septembre, pourra-t-il profiter aux citoyens comme aux entreprises, comme le vantent ses promoteurs ?

S’il est un argument difficile à mobiliser pour convaincre les opinions publiques, c’est celui de la croissance économique : le CETA devrait faire progresser à terme le produit intérieur brut (PIB) européen entre à peine 0,02 % et 0,08 %, selon des études controversées publiées au début des négociations, en 2009.

La Commission européenne, qui a mené les négociations, compte davantage sur les succès individuels de PME européennes qui pourraient conquérir de nouveaux marchés outre-Atlantique grâce à la libéralisation des échanges et à la mobilité de la main-d’œuvre. Elle cite l’exemple de la confiserie de calissons du Roy René, à Aix-en-Provence, qui espère « gagner en compétitivité » pour développer son implantation au Canada. Outre la baisse de la plupart des tarifs douaniers, le CETA prévoit la simplification des procédures administratives et des contrôles de conformité pour les exportations, ainsi que des forums de dialogue pour faire converger les normes.

Les premiers bénéficiaires de cet accord commercial pourraient toutefois être les grands groupes, qui devraient largement profiter de l’ouverture programmée des marchés publics canadiens. Des entreprises comme Alstom et Bouygues ne devront plus s’allier avec leurs concurrents locaux pour décrocher les appels d’offres autour du transport ferroviaire ou du BTP.

Le secteur agricole inquiet

Le secteur agricole est nettement moins enthousiaste. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) s’inquiète en particulier de la concurrence déloyale des producteurs canadiens, qui pourront exporter plus de 60 000 tonnes de bœuf sur le marché européen. Ces nouveaux quotas d’importation ne représentent certes qu’une très faible proportion de la production européenne annuelle. « Mais, ce que les Canadiens envoient, ce sont principalement des pièces à forte valeur ajoutée », fait valoir Interbev, l’interprofession de la viande. Sur ce créneau, « ils pourront concurrencer la production allaitante française, avec des coûts de production moins élevés, permis par des élevages plus grands et des contraintes réglementaires moindres », confirme Sophie Devienne, professeur à AgroParisTech.

En revanche, les producteurs laitiers pourraient théoriquement se frotter les mains. Du cantal au morbier, les fromages occupent une place de choix parmi les 145 appellations européennes, qui ne pourront plus être usurpées par les Canadiens.

Les premiers bénéficiaires de l’accord pourraient être les grands groupes

Ils s’inquiètent toutefois de ne pas pouvoir utiliser entièrement le nouveau quota d’exportation de 18 500 tonnes de fromages qui leur a été octroyé : la moitié de ce contingent sera à la merci du bon vouloir des producteurs locaux canadiens, qui risquent de ne pas les exploiter pour ne pas concurrencer leur propre production.

Les conséquences du CETA sont plus difficiles à estimer pour les citoyens européens. La réduction des droits de douane pourrait théoriquement faire baisser les prix, mais cela reste encore très hypothétique.

Faiblesse des moyens prévus pour vérifier le respect de ces règles

En outre, de nombreuses organisations de la société civile craignent que ces bénéfices ne se paient par un abaissement de la protection des consommateurs. Si elle a strictement exclu l’entrée dans l’UE de bœufs canadiens nourris aux hormones de croissance ou d’organismes génétiquement modifiés (OGM), la Commission européenne n’a pas dissipé toutes les craintes.

Un rapport d’experts remis le 8 septembre au gouvernement s’inquiète de la faiblesse des moyens prévus pour vérifier le respect de ces règles au moment de l’importation, faute d’une traçabilité complète de la chaîne de production du côté canadien. Il souligne également que rien n’est prévu pour contrôler efficacement la nourriture ingurgitée par les bovins (farines animales, maïs OGM…). « Des missions d’inspection européennes au Canada seront nécessaires pour vérifier le respect de ces règles », souligne Jean-Luc Angot, un inspecteur général vétérinaire qui a travaillé sur le volet agricole du rapport avec Sophie Devienne.

L’incidence sur l’emploi fait également partie des grandes inconnues du CETA. Les deux seuls économistes à s’être aventurés sur ce terrain, l’Américain Pierre Kohler et le Néerlandais Servaas Storm, estiment que le renforcement de la concurrence commerciale pourrait détruire 204 000 emplois en Europe d’ici à 2023. « Le modèle économique utilisé n’a pas été conçu pour modéliser les politiques commerciales », rétorque Edouard Bourcieu, de la Commission européenne.

En tout état de cause, les premiers effets concrets du CETA seront scrutés à la loupe. Pour entrer définitivement en vigueur, l’accord devra encore recueillir l’approbation de 38 Parlements nationaux et régionaux de l’UE. Un seul vote négatif pourrait signer son arrêt de mort.