Sans son goût pour les parties de backgammon sur les trottoirs de Paris, Houssam El-Assimi ne comparaîtrait pas jeudi 21 septembre devant le tribunal de grande instance. Mais en juin 2015, alors qu’il prépare le concours d’inspecteur du travail, ce titi parisien de 33 ans a arrêté son regard sur de nouveaux venus : les migrants.

Aguerri aux luttes politiques comme ancien des coordinations étudiantes, en 2006 et 2007, le jeune homme est « choqué » par la détresse qui s’étale là. Le 2 juin 2015, après la première évacuation dans la capitale, il s’étonne que ceux qu’il croyait hébergés rappliquent illico. Il commence à s’intéresser à leur sort. Très vite, son étonnement devient de l’indignation.

« Voir les Erythréens et les Soudanais construire des cabanes dans les arbres pour échapper à la police, ça laisse pas indifférent », raconte-t-il en référence à cette période.

Il met alors ses rêves d’emploi stable entre parenthèses et se consacre à améliorer le quotidien des migrants. Pilier du collectif de soutien La Chapelle debout, ce titulaire d’un double master en sciences politiques et histoire, un temps tenté par une thèse sur la charge politique du rap, est toujours là deux ans après, vivotant, mais aidant sans trêve. Comme un repère quand les visages parisiens de l’aide aux exilés ont beaucoup changé, il rabattait encore, samedi 16 septembre, vers un concert : « Tout le fric sera pour les frais juridiques des migrants », précisait-il.

Vingt-sept heures de garde à vue

Houssam El-Assimi est un « Cédric Herrou bis ». Un combattant de l’égalité des droits et un farouche défenseur d’un accès équitable à la demande d’asile. Si les histoires personnelles des deux hommes diffèrent, entre eux il y a plus qu’un goût commun pour les casquettes ou les foulards ethniques. A Cédric Herrou, on reproche d’héberger des migrants dans sa ferme de la Roya, et d’aider ceux que la France voudrait renvoyer en Italie alors qu’Houssam El-Assimi, lui, a développé un engagement multiforme : il traduit de l’arabe au français pour les demandes d’asile, rend des visites dans les centres de rétention, constitue des dossiers pour éviter les renvois vers les pays en guerre, etc.

Le Parisien porte dans son ADN familial la trace de l’exil vécu par ses parents dans les années 1970. Il a construit sur ce passé un goût pour la lutte politique hors partis et une empathie pour les déracinés. Aujourd’hui, celui qu’on avait pu à un moment croire proche des altermondialistes s’en est éloigné. Il « ne veu[t] pas changer la société mais l’améliorer », rêvant que la liberté de circulation et d’installation y trouve place.

Les gens qui le côtoient sont marqués par sa haine des injustices. « Il a toujours aidé les plus faibles », se souvient sa mère, qui rappelle volontiers le jour où « il est rentré du collège [lui] demandant comment aider un enfant non francophone ». Son militantisme tous azimuts a fait de lui un « ennemi » de la police. « Et ça se paie », estime celui qui aura été poursuivi trois fois en un an. Même si sa première comparution, pour avoir organisé une manifestation interdite, s’est soldée par une relaxe, la menace est bien là. Cette fois, il comparaît pour « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique, rébellion, à Paris, le 30 septembre 2016 »

Ce jour-là, alors que les policiers opèrent un contrôle d’identité de migrants, le militant court d’un groupe à l’autre leur conseillant de s’enfuir. Après, les versions diffèrent. Houssam El-Assimi est accusé d’avoir été violent envers un policier. Lui nie. « C’est moi qui ai eu trois jours d’ITT [incapacité temporaire de travail] et me retrouve accusé de violence et de rébellion », déplore-t-il, oubliant au passage de mentionner ses vingt-sept heures de garde à vue.

« J’ai peur pour lui »

Pour son avocat, Me Dominique Tricaud, on est dans une « tentative de criminalisation de l’aide aux migrants ». Il réaffirme que son client ne « faisait que délivrer des conseils parfaitement légaux » et aimerait bien que la cour se penche « sur la vidéo qui existe de ce moment, pour voir que ce qu’on reproche à [s]on client ne tient pas ». Cité dans l’enquête, le film n’est pas versé au dossier. En revanche, des personnes présentes ont accepté de témoigner, de visu ou par écrit ; et bravant leurs craintes, des migrants ont eux aussi produit des témoignages et comptent se déplacer.

Par son omniprésence, celui que ses proches appellent « Houss » gêne les stratégies officielles. Son franc-parler agace et met mal à l’aise des autorités qui s’offusquent qu’on appelle « rafles » ces embarquements réguliers des exilés, tantôt vers des hébergements, tantôt vers des commissariats, et de plus en plus vers la rétention avant même qu’ils aient pu déposer une demande d’asile. Houssam El-Assimi et le collectif La Chapelle debout dénoncent ce mode de gestion de la rue.

Aujourd’hui, face à l’emballement judiciaire, la mère d’Houssam a un peu le vertige. « Je suis fière de l’engagement de mon fils pour l’humanité. Mais je suis une mère et j’ai peur pour lui », rappelle cette femme engagée des années durant dans la lutte contre Hassan II au Maroc. Arrivée en France dans les années 1970, après avoir vu deux de ses frères emprisonnés et ses sœurs contraintes de demander l’asile politique, cette enseignante confie avoir « du mal à admettre que la France laisse ces gens à la rue et que celui qui dénonce soit poursuivi ».

Réinvention du délit de solidarité

Me Tricaud, lui, se sent transporté là dans la Roumanie d’antan. « Il n’y avait pas de procès politique, mais les opposants étaient poursuivis pour un viol ou un autre motif. On trouve toujours une combine », s’offusque-t-il, rappelant en creux comment le droit commun réinvente un délit de solidarité qui n’existe pas tel quel juridiquement.

A la barre se tiendra donc, jeudi matin, un homme qui croit en l’amitié, en la fraternité, et que la charge mentale de ce procès n’a pas empêché de poursuivre ses actions. « Quand je compare mes soucis aux leurs, les deux côtés de la balance ne sont pas équilibrés », s’excuse-t-il presque en souriant doucement.