L’avis du « Monde » - A voir

Il y a, dans ce premier long-métrage de fiction de Lila ­Pinell et Chloé Mahieu – duo de réalisatrices à l’initiative de plusieurs documentaires remarqués, dont Boucle piqué (2014), qui se situait déjà dans le milieu du patinage artistique –, deux temps bien distincts. Le premier est celui de l’entraînement d’un groupe de jeunes filles de haut niveau, en vue des championnats de France de cette curieuse discipline sportive qu’est le patinage, mêlant une performance physique intense à un décorum pailleté versant ­volontiers dans le kitsch.

Sous les ordres de l’entraîneur Xavier Dias (« le meilleur de France »), qui passe son temps à les houspiller avec un choix raffiné de mots blessants (« On ne peut pas sauter quand on est une bonbonne de gaz ! »), celles-ci sont maintenues sous une pression accablante, le physique et le mental tendus vers la compétition qui les attend. Certaines, comme Sarah (Sarah Bramms), 15 ans, sont épaulées par des familles qui ont tout sacrifié pour elles et dépendent exclusivement de leur réussite.

La description du milieu du patinage, peu fréquente à l’écran, se double d’une dimension quasi anthropologique.

Le second temps est celui du ­relâchement. Sarah et ses amies restent avant tout des adolescentes qui cherchent à s’amuser, à se lâcher complètement. C’est l’heure de sortir, de se gausser en faisant des selfies, de s’encanailler, de s’enivrer, d’embrasser des garçons, ne serait-ce que pour frayer avec ses propres limites. Le film, qui semblait reprendre à son compte la trame balisée de la compétition sportive, s’ouvre en son centre sur de longues plages consacrées à l’habitus contemporain des adolescents. La description du milieu du patinage, peu fréquente à l’écran, se double alors d’une dimension quasi anthropologique. La fiction trempe deux fois dans le bain documentaire : d’une part, la plupart des ­acteurs jouent leur propre rôle (hormis le personnage de la mère de Sarah, joué par la comédienne professionnelle Dinara Drou­karova) et, d’autre part, leurs comportements sont observés sans « forçage » dramaturgique.

Entre les moments de contrainte et de relâchement, le film pose la question suivante : que faire du corps adolescent ? Le modeler, le soumettre à la règle d’une discipline extérieure, le dominer pour le rendre acceptable aux yeux du public ? Ou bien le vouer à ses appétits naissants, à ce bouillonnement intérieur qui appelle à lui ses propres expériences et inquiète tant les adultes ?

Jeunesse et paillettes

Ces différents investissements du corps alternent ainsi comme les versets et répons d’un âge où il faut à la fois se conformer en vue d’un jugement social et dénicher en soi-même les prémices d’une personnalité en construction. Kiss & Cry décrit bien, dès le titre (qui désigne le banc où patineurs et entraîneurs attendent le verdict des juges), les deux temps d’un même apprentissage, qui sont aussi ceux d’une marche accélérée : embrasser et pleurer, aimer et souffrir, s’éprendre et se déprendre.

Sans doute le film se repose-t-il un peu trop sur l’attrait inné de ses personnages (jeunesse et paillettes), s’en tenant à l’acquis d’une séduction évidente, sans trop chercher à construire avec eux quelque chose – une trame, une métamorphose – qui les dépasse. Mais, si léger soit-il, son charme n’en demeure pas moins réel et mérite d’autant plus d’attention qu’il creuse une voie fertile d’hésitation, de flottement et d’indétermination, finalement assez peu empruntée dans le cadre du jeune cinéma français.

Kiss & Cry
Durée : 01:39

Film français de Lila Pinell et Chloé Mahieu. Avec Sarah Bramms, Xavier Dias, Dinara Droukarova (1 h 18). Sur le web : www.ufo-distribution.com/prochainement/kiss-and-cry