Le site de ThyssenKrupp à Duisburg, en Allemagne, 6 décembre 2012. / Ina Fassbender / REUTERS

Onze ans après la prise de contrôle d’Arcelor par Lakshmi Mittal au terme d’une bataille boursière épique, une nouvelle très grande fusion se dessine dans l’acier européen. A l’issue de plus d’un an de tractations, l’allemand ThyssenKrupp et l’indien Tata ont officialisé mercredi 20 septembre la signature d’un accord pour rapprocher toutes leurs activités sidérurgiques sur le Vieux Continent, en particulier en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas. Objectif : mieux tenir le choc face à la puissance d’ArcelorMittal et au déferlement d’importations asiatiques, en particulier chinoises. Une sorte d’opération sauvetage.

Les dirigeants ont d’ailleurs annoncé clairement la couleur : la fusion donnera lieu à une lourde restructuration, destinée à redresser les activités en cause pour enfin leur « donner un avenir durable ». Quelque 4 000 emplois seront supprimés, moitié dans la production, moitié dans les services administratifs. Le fardeau devrait être réparti « à peu près à égalité » entre les deux partenaires. Au total, Tata et ThyssenKrupp espèrent économiser ainsi 400 à 600 millions d’euros par an.

Les deux industriels avaient annoncé dès avril 2016 leur intention de s’allier pour mieux résister aux difficultés du marché de l’acier. Selon l’accord dévoilé mercredi, aucun des deux n’abandonne la partie. Ils entendent mettre en commun toutes leurs activités d’acier en Europe, au sein d’un nouvel ensemble détenu à 50 % par chaque partenaire. Ils se partageront aussi les sièges du conseil de surveillance et du comité de direction de la nouvelle entité. Appelée ThyssenKrupp Tata Steel, celle-ci aura son siège social aux Pays-Bas.

« Constituer un solide numéro deux »

En fusionnant, l’allemand et l’indien entendent réduire l’écart avec ArcelorMittal, l’actuel leader européen et mondial de l’acier. Il s’agit de « constituer un solide numéro deux » de l’acier en Europe, a expliqué mercredi Heinrich Hiesinger, le patron de ThyssenKrupp. Aujourd’hui, l’industriel allemand se situe déjà au deuxième rang européen, et Tata au troisième, mais très loin du leader.

Le nouvel ensemble emploiera quelque 48 000 salariés et ne comptera pas moins de 34 sites. Il réalisera un chiffre d’affaires de l’ordre de 15 milliards d’euros, provenant à 54 % de ThyssenKrupp et à 46 % de Tata. Sa production d’environ 21 millions de tonnes d’acier par an devrait correspondre à un peu plus de la moitié de celle d’ArcelorMittal en Europe, une fois que le champion contrôlé par la famille Mittal aura intégré comme prévu Ilva, un sidérurgiste italien mal en point.

Depuis un an, la situation s’est significativement améliorée dans la sidérurgie. Portés par le tonus de l’économie mondiale, les prix de l’acier sont repartis à la hausse. ArcelorMittal est enfin sorti du rouge, après des années de perte. La mise en place de taxes antidumping contre les importations chinoises a également profité aux industriels européens.

Une solution pour gagner durablement de l’argent

Pour eux, le marché reste néanmoins structurellement complexe. Les cours de l’acier en Europe restent inférieurs de plus de 50 % aux niveaux atteints avant la crise, en 2008. Les capacités de production mondiales demeurent nettement supérieures à la demande. Surtout, l’Europe compte de moins en moins : elle dont les hauts-fourneaux avaient longtemps dominé la sidérurgie internationale ne produit plus qu’une tonne d’acier sur dix utilisées dans le monde. A elle seule, la Chine en fournit désormais une sur deux.

Dans ces conditions, Tata et ThyssenKrupp, deux poids moyens pointant respectivement à la dixième et la quinzième places mondiales, étaient depuis longtemps à la recherche d’une solution pour gagner durablement de l’argent. Issu de la fusion en 1999 de deux aciéristes familiaux allemands, ThyssenKrupp mise de plus en plus sur ses autres activités industrielles et de services, des ascenseurs aux sous-marins en passant par le négoce de matières premières. Sous la houlette de M. Hiesinger, venu de Siemens, le groupe d’Essen s’est aussi engagé dans une longue période d’amaigrissement. En juillet, il a encore annoncé la suppression de 2 000 à 2 500 emplois en trois ans.

De son côté, Tata tente depuis des années de sortir du rouge ses usines d’acier européennes. En 2007, le conglomérat indien avait récupéré les vestiges de British Steel, l’ancien fleuron privatisé par Margaret Thatcher. Une acquisition devenue un boulet avec la crise. En 2016, Tata a revendu un pan de ces activités au fonds d’investissement Greybull Capital, notamment l’usine de Hayange (Moselle), qui fabrique des rails de chemins de fer. Depuis, il cherchait un partenaire et n’excluait pas de tout fermer.

L’accord de principe trouvé entre ces deux éclopés de la sidérurgie ne règle pas tout. Leurs dirigeants vont devoir convaincre les autorités européennes chargées de la concurrence du bien-fondé de leur rapprochement. En Allemagne, ThyssenKrupp va aussi devoir obtenir le soutien des syndicats, qui disposent de la moitié des sièges au conseil, cogestion oblige. Les deux groupes ne pensent pas pouvoir boucler la fusion avant la fin 2018.