Jean-Yves Ollivier, président de la Fondation Brazzaville, homme dont les affaires ont souvent concerné des pays en marge du droit des nations, comme l’Afrique du Sud de l’apartheid, a signé sur Le Monde Afrique un plaidoyer ubuesque pour la résolution de la crise libyenne. Lorsqu’on appartient à la société civile congolaise et qu’on résiste à la dictature de Denis Sassou-Nguesso, on se doit de répondre à M. Ollivier, témoin et acteur privilégié de toutes les dérives du Congo-Brazzaville.

Dans sa tribune, l’homme d’affaires présente le plan de paix de l’Union africaine (UA) comme la meilleure solution pour la Libye. Ce plan est piloté par un nébuleux « comité » de dix chefs d’Etat présidé par M. Sassou-Nguesso. Or ce dernier dirige un pays plongé dans une crise démocratique et sécuritaire, avec notamment la tragédie du Pool : plus de 100 000 déplacés, des villages brûlés, des populations massacrées, plus de 150 prisonniers politiques et d’opinion, dont le journaliste Ghys Fortuné Dombé Bemba.

« Règne de l’arbitraire »

Le bon sens ne prévaudrait-il que pour le pays de feu Mouammar Kadhafi, dont M. Sassou-Nguesso a été un grand complice ? Pourtant, les remèdes prescrits pour la Libye conviendraient bien au Congo, qui serait très heureux d’en tester tous les effets. Et M. Ollivier, dans son plaidoyer, aurait tout aussi bien pu remplacer « Libye » par « Congo-Brazzaville » et « Libyens » par « Congolais ».

Ainsi, l’auteur de ce texte prétend que « les Libyens n’en peuvent plus du règne de l’arbitraire et des pénuries ». Mais les solutions qu’il préconise pour le règlement de la crise libyenne auraient été accueillies avec beaucoup plus d’attention et de sérieux si elles avaient pu être appliquées au terrain congolais, qui en a, lui aussi, le plus grand besoin. Il sied de rappeler que sous le règne sans partage de Kadhafi, le peuple libyen n’a connu que confiscation des libertés politiques et terrorisme d’Etat, à l’instar du Congo de M. Sassou-Nguesso.

Quand les frasques de la famille Kadhafi dans les palaces européens faisaient la « une » des journaux, la famille Sassou-Nguesso dilapidait ses biens mal acquis sur la Côte d’Azur, laissant plus de la moitié de la population congolaise en dessous du seuil de pauvreté.

En février 2011, alors que la Libye était à son tour touchée par le « printemps arabe », Mouammar Kadhafi promettait, sur un ton véhément, parfois colérique, de réprimer la révolte populaire, qu’il attribuait à des « mercenaires », des « rats », des « bandes criminelles » et des « drogués ». Terminologie similaire à celle de Denis Sassou-Nguesso, qui, depuis le 4 avril 2016, fait « goûter le sang », traque les « terroristes » et les « bandes criminelles » dans le Pool. Hier Kadhafi a réprimé dans le sang le « printemps arabe », aujourd’hui Sassou-Nguesso tente d’endiguer dans « le sang et les larmes » la révolution du Bassin du Congo.

Légitimité douteuse

M. Ollivier, dans son plaidoyer, place l’Europe « devant le dilemme d’être soit submergée soit moralement responsable des noyés du désespoir et des migrants “bouclés” en Libye, souvent dans des conditions inacceptables ». Pourtant, ce sont des politiques semblables à celle de son ami Sassou-Nguesso qui condamnent des milliers de nos sœurs et frères à mourir en mer. Face à ce manque de perspectives, l’UA reste à ce jour, en réalité, un syndicat de chefs d’Etat à la légitimité douteuse. L’instauration de l’Etat de droit en Afrique est la solution principale de la crise migratoire.

M. Sassou-Nguesso dessert la cause libyenne, qui n’est nullement sa préoccupation. Derrière le statut de « médiateur » pour la Libye, M. Sassou-Nguesso ne voit que la possibilité de regagner à l’international la légitimité populaire qu’il a été incapable d’obtenir dans les urnes lors de l’élection manipulée du 20 mars 2016. Aujourd’hui, plusieurs des candidats qui ont osé se présenter contre lui sont en prison, mais cet homme donne des leçons de démocratie à New York, évoque la question de la Corée du nord et du devenir écologique de la planète, tout en errant aux Nations unies dans l’espoir d’un selfie avec Emmanuel Macron…

M. Sassou-Nguesso est, et a toujours été, un facteur d’instabilité en Afrique centrale en particulier et en Afrique en général. Aujourd’hui, l’Etat-voyou du Congo-Brazzaville sert de plateforme de blanchiment d’argent. Il alimente le trafic de munitions en Centrafrique, et le Parti congolais du travail (PCT, au pouvoir) vient de signer un accord avec celui de Pierre Nkurunziza au Burundi.

La Libye mérite mieux que le pire des Congolais pour résoudre sa crise, et le Congo mérite mieux que le pire des Congolais pour le diriger. M. Sassou-Nguesso a lamentablement échoué dans la conduite des affaires du Congo, il ne peut donc pas être la solution pour la Libye. Que M. Ollivier, qui semble avoir désormais sa résidence principale à Oyo, le village natal de M. Sassou-Nguesso, et le dictateur qu’il sert commencent par régler les crises congolaises ! Après, et seulement après, ils pourront peut-être recevoir un peu de notre attention.

Andréa Ngombet est le coordinateur du collectif #Sassoufit et ambassadeur du congrès mondial destiné aux jeunes leaders One Young World.