Olivier Faye, chargé du suivi de l’extrême droite au Monde, a répondu à vos questions après le départ de Florian Philippot du Front national, mercredi 21 septembre.

Romanecbd : Quelles sont les raisons de ce bras de fer ? De ce départ ?

Olivier Faye : Officiellement, ce départ est causé par le refus de Florian Philippot de quitter la présidence de son association, Les Patriotes, qu’il présente comme un think tank mais que Marine Le Pen voit comme un parti politique à parti entière, et donc comme un possible concurrent à l’avenir.

Mais les germes de ce départ ont été plantés depuis bien longtemps. Beaucoup de personnes au Front national ont considéré Florian Philippot, qui vient du chevènementisme, comme un élément qui, culturellement, ne pouvait pas s’adapter à la « famille nationale ». Il a passé son temps à prendre le FN à rebrousse-poil, notamment sur les questions sociétales et en raison du vocabulaire qu’il utilise, trop « de gauche ».

De plus, il s’est créé de nombreuses inimitiés en raison d’un comportement personnel sans chaleur, voir brutal selon certains. Son rôle de principal conseiller de Marine Le Pen en fait le fusible idéal après l’échec – relatif – du parti à la présidentielle et aux législatives. Et lui-même envisageait depuis des années un départ en cas d’impossibilité d’accéder au pouvoir grâce à l’outil Front national.

Léa : Vers quelle ligne évoluera le FN et peut-on s’attendre à une forme de « dissidence », avec d’un côté le FN et de l’autre Les Patriotes ?

Philippot n’a pas dit clairement qu’il allait entrer en dissidence, mais il a bien précisé : « Je me battrai pour que mon pays soit libre, soit indépendant. » Il n’est pas improbable, donc, qu’il se lance dans une aventure personnelle, à la tête des Patriotes, et pourquoi pas en essayant de nouer des alliances avec d’autres personnalités ou forces politiques.

Son départ laisse en tout cas orpheline la sensibilité « sociale-souverainiste » au sein du FN, qui n’a plus comme figure de proue que Marine Le Pen. Or, cette dernière se doit de représenter un point d’équilibre dans son parti. Et le départ de Florian Philippot va enhardir certains dans leur volonté de retrouver plus en phase avec l’orthodoxie de son positionnement naturel, voir d’opérer un virage plus identitaire. Ce que Florian Philippot voit comme un risque de rabougrissement du parti.

Johnarliste : Quel est l’avenir de M. Philippot sans le FN ?

Très incertain. De nombreux frontistes, Marine Le Pen en tête, estiment qu’il ne devrait emmener dans son sillage, au mieux, qu’une vingtaine d’élus. Nous sommes loin de la scission orchestrée par Bruno Mégret, en 1999, durant laquelle le parti avait été privé de la moitié de ses cadres et de milliers de militants. L’espace politique de Florian Philippot, celui du « souverainisme intégral », comme le décrit l’historien Nicolas Lebourg, débarrassé de scories diabolisantes, semble déjà occupé par Nicolas Dupont-Aignan (bien que ce dernier ne rechigne pas parfois aux provocations).

L’objectif de Florian Philippot était de créer avec le FN un grand parti souverainiste qui rassemble les « républicains des deux rives », ces personnes de droite et de gauche qui ont voté non au référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005. Tout seul (pour l’instant), cette entreprise semble encore plus compliquée. D’autant qu’il ne dispose pas d’un ancrage local fort qui pourrait lui constituer une base arrière.

Tete : En regard des évictions précédentes à la tête du FN, doit-on porter obligatoirement le nom de Le Pen pour diriger ce parti ?

Marine Le Pen assure que non, et on ne peut jamais parier de rien, mais l’atavisme frontiste semble plus fort et le guider sur cette tendance. Qui aujourd’hui apparaît comme un possible successeur de Marine Le Pen ? Marion Maréchal-Le Pen, et personne d’autre.

Comme me le disait récemment – avec un peu d’emphase – un conseiller de Marine Le Pen, « le nom Le Pen est connu jusqu’en Amazonie, c’est un élément structurant de la vie politique française. Mégret ou Philippot, ça n’intéresse personne ». C’est un nom qui peut freiner l’électeur, mais qui offre un capital politique de base.

FB24 : Une nouvelle recrue pour Dupont-Aignan après sa tentative d’entre-deux-tours ?

C’est à voir, puisque Nicolas Dupont-Aignan n’a pas forcément envie de se retrouver en concurrence avec quelqu’un qui va tenter de prendre la place de chef de file d’un courant politique. De plus, il a noté que Florian Philippot avait tenté de freiner son alliance avec Marine Le Pen. Mais ce genre de considérations peuvent très bien être passées sous le boisseau.

Bob : Florian Philippot déclare « conserver ses mandats ». A-t-il un autre mandat que celui de député européen ?

Oui, il est conseiller régional Grand Est, président du groupe d’opposition FN (ce qui ne devrait plus être le cas très longtemps).

Curieuse : En quoi cette annonce est-elle décisive ?

Florian Philippot et Marine Le Pen ont formé un couple politique quasiment imperturbable pendant huit ans, lui comme conseiller, elle comme candidate, et ils ont contribué ensemble à porter le FN au second tour de l’élection présidentielle.

La fin de ce couple représente donc un séisme pour le FN. Marine Le Pen va devoir apprendre à travailler sans son bras droit, qui avait contribué à conceptualiser et populariser sa ligne politique. Elle se coupe d’une partie du spectre politique du FN et va devoir composer avec des tentatives d’influence pour faire modifier le cap du parti.

Garciouz : Après le départ de Philippot, qui pour prendre la place d’éminence grise auprès de Marine Le Pen ?

Plusieurs personnes sont sur les rangs, mais il est probable qu’on ne retrouve pas tout de suite une relation exclusive comme celle qui a pu se nouer entre Marine Le Pen et Florian Philippot. Il y a Philippe Olivier, son beau-frère, qui avait rejoint Bruno Mégret à la fin des années 1990, et se trouve sur une ligne plus identitaire, avec une identité de droite assumée. Il y a aussi Bruno Bilde, élu à Hénin-Beaumont, qui la conseille depuis qu’elle s’est implantée politiquement dans le bassin minier, en 2007. C’est un ancien mégrétiste lui aussi, mais il se trouve pour sa part sur une ligne ni droite ni gauche, ce qui est logique vu son ancrage politique.

Hassel14 : Est-ce un retour d’un FN plus « extrême » comme celui du père ?

Ce n’est pas forcément un retour au FN du père, puisqu’il n’y a plus les mêmes références, notamment à la seconde guerre mondiale ou aux guerres coloniales, mais il existe un risque de durcissement du FN, en effet, principalement sur les questions identitaires.

Marion Maréchal-Le Pen a contribué à faire adhérer des militants identitaires, comme Philippe Vardon, qui sont des hommes d’appareil avisés, et peuvent peser dans ce sens. Nicolas Bay est vu comme un de leurs soutiens en interne, et il sort de cette séquence plutôt renforcé.

Kefkev : Quels élus ont déjà décidé de quitter le FN pour suivre Florian Philippot ?

La plus emblématique est Sophie Montel, députée européenne et principale lieutenant de Florian Philippot (elle siégeait au bureau politique). Il y a aussi Philippe Murer, conseiller régional d’Ile-de-France et conseiller économique de Marine Le Pen, qui est parti. De ce que j’ai vu, une dizaine d’élus ont pour l’instant suivi Florian Philippot. Mais je vous invite à vous reporter à la rubrique des Décodeurs, qui sont en train de compiler tout ça.