Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière, les a surnommés les « grognons râleurs ». Laurent Berger, son homologue de la CFDT, s’est, lui, gardé de tout qualificatif désagréable pour désigner ceux parmi ses militants qui passent outre les consignes nationales pour défiler aux côtés de la CGT contre les ordonnances réformant le code du travail.

Dans les rangs des syndicats dits réformistes, ils sont minoritaires mais certains commencent à s’agacer de l’attitude jugée trop timorée de leurs dirigeants face à ce qu’ils considèrent comme un texte « pire que la loi El Khomri ». Et le font savoir. Lundi 18 septembre, avant leurs collègues de la CGT et FO, les syndicats routiers de la CFDT et CFTC ont organisé des rassemblements et des barrages filtrants. Le même jour, l’UNSA-Ferroviaire, deuxième syndicat à la SNCF, appelait à faire grève et à manifester jeudi 21 septembre pour la seconde journée de mobilisation organisée par la CGT avec la FSU, Solidaires et l’UNEF, à la veille de la présentation des ordonnances en conseil des ministres. La veille, dimanche 17, c’était la CFDT Métallurgie qui exhortait Laurent Berger à « une mobilisation nationale », critiquant le choix de la confédération « qui a occasionné la colère de nombreux militants qui, appartenant à la première organisation syndicale du privé, s’attendaient à une réaction bien plus forte de la CFDT ».

Dans une tribune publiée mardi par Les Echos, les numéros un de la CFDT, CFTC et UNSA, Laurent Berger, Philippe Louis et Luc Bérille, ont fini par hausser le ton. Les trois dirigeants de centrales réformistes, qui entendent peser sur le contenu des décrets d’application, dénoncent la limitation des indemnités prud’homales et l’instance unique de représentation du personnel. Ils jugent que « les projets d’ordonnances déséquilibrent le texte au détriment des salariés. (…) Equilibrer les relations de travail est une question de justice sociale autant que d’efficacité économique ». « Le gouvernement, ajoutent-ils, doit le comprendre et ajuster les ordonnances et les décrets d’application qui viendront afin de donner les moyens à ce dialogue social. »

« Divergence tactique »

Cela suffira-t-il à calmer les esprits ? Combien de leurs militants battront le pavé jeudi ? Le 12 septembre, les cédétistes, même s’ils n’étaient qu’une poignée, étaient bien visibles autour de leur ballon orange. Parmi eux, Gérard Chameau, ex-délégué syndical d’IBM, aujourd’hui à la retraite. « C’est important de montrer que la CFDT est un syndicat réformiste mais réformer ne veut pas dire accepter n’importe quoi », s’emportait-il.

Certes, Laurent Berger a fait part de son « mécontentement » mais d’une « manière trop molle ». « On veut une consultation de la base », réclamait-il. Pour lui, le verdict sur les ordonnances est sans appel : le plafonnement des indemnités prud’homales est « inacceptable » tout comme la fusion des instances représentatives du personnel ou l’« affaiblissement » de la représentation syndicale… « On fait la part belle au patronat, renchérissait Nathalie Joly Sitruk du SGEN-CFDT. On peut se mettre autour d’une table pour discuter mais quand il n’y a plus rien à discuter, il faut être dans la rue… »

Ceux de FO étaient plus nombreux à manifester. Pour beaucoup, le choix de leur syndicat passe d’autant plus mal qu’il y a un an, ils étaient en première ligne avec la CGT pour contester la loi El Khomri. « On a une divergence tactique avec Mailly : il peut y avoir de la concertation mais ça n’empêche pas le rapport de force », expliquait Jean Hédou, secrétaire général de la fédération Equipement, environnement, transport et service (Feets-FO). « On n’est pas des moutons, s’emportait de son côté une militante de FO Transports et logistique, qui préférait rester anonyme. Je ne suis pas d’accord avec Mailly et je suis là pour le signifier ! »

« C’est le début de quelque chose »

« On a envie de montrer qu’on a besoin de se retrouver, y compris dans la rue », ajoutait Emmanuel Guimaraes, de FO-Pénitentiaire. Ce dernier était là pour protester contre le gel du point d’indice, la hausse de la CSG, les 120 000 suppressions de poste annoncées pendant la campagne présidentielle. Il appelait à la « convergence des luttes ». « C’est le début de quelque chose », voulait-il croire. Depuis, l’ensemble des syndicats de la fonction publique a annoncé une journée d’action le 10 octobre. M. Mailly a d’ailleurs fait savoir qu’il serait présent ce jour-là. Pour la mobilisation de jeudi, plus de la moitié des unions départementales de FO et huit fédérations ont de nouveau appelé à être présent.

Par ailleurs, onze fédérations de la CFE-CGC, qui représente les cadres, ont appelé à se joindre à la manifestation du jeudi 21 septembre. A la différence de leurs collègues, eux savourent les critiques virulentes contre les ordonnances formulées par leur président, François Homméril, même si leur direction n’a pas souhaité descendre dans la rue. Le 12 septembre, sur les marches de l’Opéra-Bastille, certains lançaient même sur le ton de la plaisanterie : « Alors, comment ça va à la CFE-CGT ? »