L’entrée de L’Atelier des artistes en exil, rue des Poissonniers, à Paris. / E. JARDONNET/« LE MONDE »

La barre d’immeuble de la rue des Poissonniers, dans le 18e arrondissement parisien, est tout ce qu’il y a de plus impersonnel. Puis l’ascenseur s’ouvre sur un palier qui accueille tout un chacun d’un « Bienvenue » décliné en plusieurs langues : bienvenue à L’Atelier des artistes en exil, nouveau lieu associatif et éphémère de 1 000 m2 porté par Judith Depaule et Ariel Cypel, duo qui pilotait auparavant le théâtre et espace culturel Confluences.

C’est à Confluences qu’avait germé l’idée de cette nouvelle structure. En 2015, en réaction à l’afflux de réfugiés syriens, le binôme avait lancé un appel national pour que les lieux culturels accueillent des réfugiés, puis organisé quelques mois plus tard le festival Périls, une programmation pluridisciplinaire de deux semaines dédiée à la Syrie. « On avait alors mesuré combien il était compliqué d’être un artiste en exil : beaucoup ne savaient pas par où commencer, se sentaient paralysés », expliquent-t-ils.

Confluences ayant fermé fin 2016, ils se sont lancés à la recherche d’un lieu adapté à leur nouveau projet, dédié à des artistes de tous horizons et disciplines, fraîchement arrivés en France. Un coup de pouce d’Emmaüs Solidarité, qui a des accords avec des bailleurs pour récupérer des lieux avant réhabilitation ou destruction, a débloqué la situation. L’endroit, récupéré en avril, est prêté « jusqu’à au moins l’été prochain ».

Les artistes qui le fréquentent sont actuellement une cinquantaine, venus de Syrie et du Soudan pour beaucoup

Il s’est peuplé au fil de l’été. Les artistes qui le fréquentent sont actuellement une cinquantaine, venus de Syrie et du Soudan pour beaucoup. D’autres sont aussi Irakiens, Yéménites, Libyens, Somaliens, Gambiens, Maliens, Sénégalais, Russes, Kazakhs, Ouïgours… « Les artistes se cooptent entre eux, et le bouche-à-oreille fonctionne », explique Ariel Cypel, qui souligne qu’ils n’afficheront jamais complet : « S’il y a trop de monde, on répartira les espaces autrement, pour que chacun puisse travailler. On fonctionne déjà sur planning. »

Le sculpteur congolais Carlos Lutangu Wamba, dans son studio de L’Atelier des artistes en exil, à Paris. / E. JARDONNET/« LE MONDE »

On entre dans l’atelier de Carlos Lutangu Wamba, 27 ans, venu de République démocratique du Congo (RDC). Le jeune sculpteur, arrivé en France en janvier, a les mains recouvertes de papier mâché. Il travaille à un masque africain muni de bras et de mains, sur lesquelles repose la tête, qui paraît faite en béton : « C’est la reproduction d’un masque de la tribu de mes ancêtres adaptée à ma vie d’aujourd’hui. C’est un Penseur, qui réfléchit à son passé et à son avenir. » Le jeune artiste recycle des matériaux trouvés dans la rue, papier journal, métal pour la structure : « Tout ce qui est jeté. C’est à la fois pratique et symbolique… toute œuvre est un message », commente-t-il. Résident dans un hôtel près de Creil, il vient tous les jours à l’Atelier. « C’est génial ici, ça me fait du bien. Et je rencontre d’autres univers, différents artistes. » Bientôt une scénographe irakienne doit venir partager son atelier.

« Certains deviennent artistes à cause de l’exil »

L’adhésion des artistes (la cotisation est libre, à partir de 1 euro) est l’occasion de faire le point sur leur situation administrative et leurs besoins, notamment en termes d’encadrement juridique, psychologique ou pratique : « On démarre là où en sont les artistes. Beaucoup sont fragiles, passés par des situations traumatisantes », détaille le coordinateur. Pour ce qui est des critères artistiques, la « souplesse » est de mise : « On fait attention à ce que les artistes aient une expérience, mais aussi à leur pugnacité, à leur détermination à vivre de leur activité d’artiste. Il y a des artistes confirmés, émergents ou en formation, et certains aussi qui deviennent artistes à cause de l’exil. Quant aux interprètes, danseurs, comédiens, ils ont avant tout besoin de connections et de maîtriser le français », explique la directrice.

La « plasticienne, performeuse et féministe » afghane Kubra Khademi dans son studio de L’Atelier des artistes en exil, à Paris. / E. JARDONNET/« LE MONDE »

La proportion de femmes est de l’ordre de 20 %. On rencontre l’une d’elles, Kubra Khademi, une Afghane de 28 ans qui se définit comme « plasticienne, performeuse et féministe », arrivée en France il y a deux ans et demi. Au milieu de son atelier, des poupées de toutes tailles et styles sont alignées sur le sol : « C’est mon matériel pour réfléchir. Je les collecte partout, dans la rue, aux puces, chacune a une histoire », explique-t-elle à moitié en français, à moitié en anglais. Partout sur les murs, des portraits de femmes, des nus intrigants : « Je m’intéresse à la vie quotidienne des femmes, à leur position. Je pars de moi-même, en connection avec la société, la famille, les différents contextes, c’est comme ça que je trouve mes idées. » La jeune femme au rouge à lèvres rose fluo est pressée : « Je dois partir à un cours ! »

Une programmation hors les murs en novembre

Chacun, partout, s’affaire : tous seront là, vendredi 22 septembre, pour l’inauguration officielle, conçue comme une soirée portes ouvertes où chacun présentera des travaux. On croise Samer Salameh, Palestinien de 32 ans né en Syrie. Il nous montre une salle encore assez vide qui devrait devenir un « cinéclub », et servira de lieu de représentation vendredi. Lui vient de terminer son premier long-métrage documentaire, 194 Us Children of the Camp, filmé dans son quartier de la banlieue de Damas parmi ses amis pendant la révolution syrienne. Ce film sera projeté en novembre au festival Visions d’exil, au Musée nationale de l’Immigration du Palais de la Porte Dorée, qui sera un moment de programmation hors les murs pour L’Atelier des artistes en exil. « Ce festival, qui se doublera d’un salon, nous donnera la possibilité de montrer le travail d’artistes que l’on accompagne en le croisant avec le regard d’autres artistes, qui n’ont pas forcément connu d’exil, mais qui travaillent sur ces questions », précise Judith Depaule.

Ce vendredi soir, les neufs ateliers de peintres et plasticiens seront ouverts ; dans la salle de danse se produiront une danseuse syrienne ou encore des danseurs et acteurs ougandais en exil pour des raisons LGBT ; dans la salle des auteurs, un écrivain congolais, un dessinateur et un architecte soudanais exposeront textes et photos ; dans la salle de musique, les visiteurs pourront découvrir une chorale soudanaise et de la musique électro syrienne.

L’Atelier des artistes en exil, vendredi 22 septembre de 18 heures à 21 heures au 102, rue des Poissonniers, Paris 18e.