Une manifestante anti-Brexit à Londres, le 13 septembre 2017. / DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

La décision s’est imposée à lui cet été. « Ma start-up et ses trente employés rentrent à Paris. Et pas uniquement parce que l’été londonien ressemble à un automne pluvieux. » Le Brexit a beau n’avoir pas encore eu lieu, Jean Meyer, directeur général de Once, une application de rencontres, en a déjà subi les effets. « J’ai soudain eu du mal à recruter, se désole-t-il. Je ne compte plus le nombre de développeurs, responsables marketing ou analystes de données qui ont refusé de nous rejoindre à la suite du Brexit. On a essuyé une dizaine d’échecs ces huit derniers mois. »

Il incrimine l’incertitude planant sur le statut des ressortissants européens après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le risque d’inflation, et la dévaluation de la livre sterling (– 25 % depuis janvier 2016), qui rend les salaires moins attractifs pour son vivier de candidats vivant à l’étranger. Or, « l’incertitude est le pire ennemi de l’entrepreneur, explique-t-il. Le signal envoyé par le Royaume-Uni est absolument désastreux. »

Après deux ans à Londres, le voici donc de nouveau en France depuis septembre. Un retour pragmatique, sans état d’âme. Il a perdu un tiers de ses salariés, restés au Royaume-Uni, mais se félicite d’avoir déjà débauché deux pointures venues de la concurrence.

300 000 Français installés au Royaume-Uni

Depuis le résultat du référendum britannique en faveur de la sortie de l’Europe, en juin 2016, la question du départ taraude les quelque 300 000 Français installés au Royaume-Uni. Le choix d’un Brexit « dur » de la première ministre, Theresa May, qui doit s’exprimer à Florence (Italie), vendredi 22 septembre, sur les négociations en cours, a renforcé les inquiétudes.

Sur les 3 millions de ressortissants de l’UE que compte le Royaume-Uni, 122 000 ont quitté le pays entre avril 2016 et mars 2017, selon les dernières estimations du Bureau national britannique des statistiques. C’est une hausse de 37 % par rapport à la même période un an plus tôt. Du jamais-vu depuis 2008, au moment de la crise financière.

Pas question pour autant de parler d’exode. Le nombre d’Européens s’installant au Royaume-Uni reste supérieur aux départs, avec 248 000 arrivées sur la même période. Et les départs concernent avant tout les Européens de l’Est. Les statistiques n’indiquent en revanche aucun changement significatif pour les Européens de l’Ouest pour l’instant.

Celles concernant les Français ne sont pas encore disponibles. Mais, à l’image du jeune entrepreneur revenu dans l’Hexagone, un certain nombre d’entre eux n’hésitent plus à franchir le pas.

Après dix-huit ans passés au Royaume-Uni, Pierre (le prénom a été changé), 44 ans, est lui aussi revenu en France. Il envisageait de le faire avant le référendum pour se rapprocher de sa mère, dont la santé déclinait. Le Brexit a précipité son départ. « Je me suis dit : “je suis parti là-bas comme européen. S’ils ne veulent plus de moi comme tel, alors je m’en vais.” » Il était « hors de question » pour lui de remplir un dossier pour obtenir le statut de résident permanent.

« J’ai vécu une période faste de l’Angleterre quand je suis arrivé alors que la France ne décollait pas. Là, j’ai la conviction que c’est en train de s’inverser »

Le discours d’Emmanuel Macron a achevé de le convaincre de rentrer. « J’ai vécu une période faste de l’Angleterre quand je suis arrivé alors que la France ne décollait pas. Là, j’ai la conviction que c’est en train de s’inverser », dit-il.

Ancien salarié d’une entreprise de pub, ce célibataire sans enfant est désormais au chômage. Il ne touche pas d’indemnités de Pôle emploi, faute de documents que l’administration britannique tarde à lui envoyer, mais ne s’inquiète pas. « Je vois des offres d’emploi, même des CDI ! », assure-t-il, convaincu qu’« on n’est pas si mal en France ».

Certains Français n’avaient pas attendu le résultat du vote sur le Brexit pour préparer leur départ. Pour Sarah, auto-entrepreneuse de 36 ans, il a suffi que l’ancien premier ministre, David Cameron, annonce la tenue du référendum. « L’Europe venait d’être touchée coup du coup par les attentats, à Paris et Bruxelles, où j’ai vécu et où j’ai des amis. Le timing de cette annonce m’a vraiment heurtée. Cela marquait une absence totale de solidarité européenne. »

Elle a démissionné dans la foulée de son entreprise, spécialisée dans le commerce international. « Je ne me sentais plus chez moi », dit-elle. Le résultat du référendum ne l’a pas surprise. Quatre semaines plus tard, elle était de retour en France, après douze ans d’expatriation outre-Manche. « La rupture était consommée. »

Remarques xénophobes

Elle qui a vécu aux quatre coins de l’Europe a choisi de revenir dans son pays d’origine car, « tant qu’à y passer avec les attentats, autant que ce soit près des miens »  elle le concède volontiers, elle n’est « pas très optimiste sur l’avenir ».

Tous les Français quittant le Royaume-Uni ne choisissent pas forcément de revenir sur leurs pas. Alexandre, par exemple, a choisi Malte, une destination anglophone, car sa femme, russe « ne parlait pas du tout le français ». Pour lui, le déclic est venu avec la multiplication des remarques xénophobes. Arrivé six ans plus tôt à Londres pour finir ses études, il s’était ensuite installé avec sa femme et sa fille dans le Surrey, au sud-est du pays. « Pendant cinq ans et demi, pas de soucis, raconte-t-il. Et soudain, crac ! Le Brexit est annoncé. »

Le climat se détériore. Puis vient le « tournant ». « Au parc, une bande de dégénérés ont agressé verbalement ma femme et ma fille. Ils leur ont lancé : “Rentrez dans votre pays d’attardés à la con !” Autour d’elles, personne n’a rien dit. Comme s’il était devenu normal de s’en prendre aux immigrés. Ce jour-là, on a décidé qu’il était temps de voguer vers de nouveaux horizons. »

Ce sentiment d’étrangeté, voire de rejet, de nombreux Français expatriés l’éprouvent depuis le référendum. « Du jour au lendemain, j’ai vu une Angleterre raciste, populiste que je ne connaissais pas », témoigne Alexa, 46 ans, à la tête d’une compagnie d’export à Cambridge. Elle aussi prévoit de partir. « Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. »

Ceux qui ont déjà quitté le Royaume-Uni ont pu le faire assez facilement parce qu’ils n’avaient pas de contraintes familiales ou matérielles, facteur déterminant. Il en va tout autrement pour les autres, bien plus nombreux. « Ici, j’ai une carrière, un fils né d’un père britannique, une maison et des amis des quatre coins du monde. Bref, une vie », résume Alexa.

« Un casse-tête obsédant »

Au quotidien, pourtant, les incertitudes lui pèsent. « Je me réveille chaque matin en pensant à l’impact qu’aura le Brexit sur ma vie. C’est un casse-tête obsédant. » Les questions sont multiples : « Comment trouver de nouveaux contrats si mes clients doivent payer des droits de douane du jour au lendemain ? Si je repars en France, comment cela se passera pour mon mari ? Est-ce qu’on sera une famille Skype ? Comment pourra-t-il retrouver du travail en France sans parler français ? Que dire à mes enfants, dont l’un veut partir et l’autre rester ? Comment cela se passera pour ma retraite ? » La liste est sans fin, et les réponses, pour l’heure, inexistantes.

Le sort qui sera réservé aux expatriés, susceptibles de servir de monnaie d’échange dans les négociations avec Bruxelles, pourrait rester flou jusqu’au dernier moment. En attendant, « on remarque à certains indicateurs que les Français se préparent », souligne une source diplomatique française. « Un certain nombre demande des pièces d’identité pour être en mesure de prouver leur nationalité française le moment venu. Mais on ne peut pas dire qu’un mouvement massif a commencé. »

Alexa, elle, s’est fixée deux ans pour organiser son départ. Jusqu’au 29 mars 2019, la date butoir tant redoutée par les expatriés. Le jour où le Brexit doit entrer en vigueur.