Marie-Lys Bibeyran, à Bordeaux, le 21 septembre. / NICOLAS TUCAT / AFP

Marie-Lys Bibeyran accuse le coup. « C’est un rejet pur et simple », constate la militante antipesticides de 39 ans. Jeudi 21 septembre, la cour d’appel de Bordeaux a refusé la demande de reconnaissance post-mortem de maladie professionnelle concernant son frère, Jean-Denis Bibeyran.

Salarié d’exploitations viticoles de Listrac-Médoc (Gironde) durant trente-deux ans, ce dernier est mort à l’âge de 47 ans, en octobre 2009, dix mois après un diagnostic de cholangiocarcinome. M. Bibeyran suspectait ce cancer des voies biliaires intrahépatiques – pathologie rare – d’être lié à l’utilisation de produits phytosanitaires dédiés au traitement des maladies de la vigne auquel il s’est livré durant une vingtaine d’années dans l’exercice de ses fonctions.

En son nom, sa sœur cadette, Marie-Lys, également salariée viticole dans le Médoc, a engagé en juin 2011 une procédure en reconnaissance post-mortem de maladie professionnelle due à l’utilisation des phytosanitaires auprès de la Mutualité sociale agricole de Gironde. Une démarche qui ne lui a valu jusqu’ici qu’une série de revers.

« Cercueil à ciel ouvert »

Après la confirmation, en janvier 2014, par le tribunal des affaires de Sécurité sociale des décisions de rejet de deux comités régionaux de reconnaissance de maladie professionnelle, Mme Bibeyran s’était pourvue devant la cour d’appel de Bordeaux. Elle avait repris espoir quand, en avril 2015, cette juridiction a ordonné une expertise des pièces du dossier médical de Jean-Denis Bibeyran. Mais elle a déchanté, jeudi.

Dans son arrêt du 21 septembre, la cour d’appel estime en effet que la famille du défunt n’a pas apporté la preuve d’éléments établissant « la réalité » d’un lien de causalité entre l’exposition aux pesticides et la pathologie qui a fini par tuer Jean-Denis Bibeyran.

« Le pire, ce sont les motivations de cette décision », s’insurge Marie-Lys Bibeyran. Reprenant les conclusions d’un des experts, les juges y expliquent notamment que « l’arsenic et ses dérivés » – produits toxiques régulièrement maniés par M. Bibeyran – peuvent avoir « des effets cancérigènes pour la peau mais aussi des effets anticancéreux pour certaines tumeurs, et ainsi sur des lignées de cellules de cholangiocarcinome in vitro et même in vivo ». Une observation qui fait bondir Mme Bibeyran qui, au fil de ses années de combat, s’est muée en lanceuse d’alerte et a cofondé le collectif Info Médoc Pesticides.

« L’arsénite de sodium, un dérivé de l’arsenic qui est une sorte d’amiante de la vigne, a été interdit en 1973 pour toute l’agriculture mais a fait l’objet d’une dérogation pour la viticulture jusqu’en 2001 », rappelle celle qui se souvient avoir vu son frère « cracher du sang » et contracter des angines à répétition en période d’épandage des pesticides. Marie-Lys Bibeyran considère désormais les vignes du Médoc comme « un cercueil à ciel ouvert ».

La militante dénonce en outre une économie régionale qui « inféode » les salariés de la viticulture à leurs employeurs. « Comment entamer des démarches pour faire reconnaître une maladie professionnelle lorsque plusieurs générations de mêmes familles travaillent parfois – ou ont travaillé – dans une même exploitation ? », interroge-t-elle.

« Défaillances »

Me François Lafforgue, avocat de la famille Bibeyran, pointe de son côté les « défaillances » qui empêche des dossiers comme celui de M. Bibeyran d’aboutir. « Pour les maladies non inscrites au tableau du régime agricole comme le cholangiocarcinome, le salarié ou sa famille ne bénéficie pas d’une présomption d’imputabilité, explique l’avocat. On leur demande d’apporter la preuve du lien de causalité avec les pesticides pouvant être à l’origine de la pathologie, ce qui pose une sérieuse difficulté, car par nature, ils n’ont pas accès à cette information détenue exclusivement par l’employeur. »

Dans le cas de son frère, Marie-Lys Bibeyran n’est parvenue à obtenir de l’employeur que la liste des produits phytosanitaires utilisés dans l’exploitation de 2000 à 2008. Et ce n’est que depuis mars 2008 que l’article R4412-38 du code du travail fait obligation à tout employeur de veiller à ce que les « travailleurs » soient informés « sous des formes appropriées et périodiquement actualisées sur les agents chimiques dangereux se trouvant sur le lieu de travail », et de s’assurer que ceux-ci reçoivent « une formation et des informations sur les précautions à prendre pour assurer leur protection ».

« Il faudrait changer de paradigme et se contenter de faisceaux d’indices [pour déterminer le lien de causalité] », ajoute Me Lafforgue. Le juriste déplore également que, lors des débats, on reproche de manière récurrente aux victimes ou à leur famille l’absence de littérature scientifique susceptible d’étayer le lien de causalité. « C’est le serpent qui se mord la queue, car on fait rarement des recherches sur des maladies rares », observe-t-il.

Bien qu’ébranlée, Marie-Lys Bibeyran ne s’avoue pas vaincue. « Le combat continue », prévient-elle. Elle envisage de se pourvoir devant la chambre sociale de la Cour de cassation et continuera de militer avec l’objectif de voir se créer un fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides.