L’édifice du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA), une prouesse architecturale, a été conçu dans un ancien silo à grains. / Rodger Bosch/AFP

A Londres, la Tate Modern a investi une centrale électrique désaffectée pour en faire un haut lieu de l’art contemporain mondial. Au Cap, avec la même ambition, le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA) vient de s’installer dans un silo à grains reconditionné. Autoproclamé plus grand musée d’art contemporain africain du continent, celui-ci a ouvert ses portes au grand public vendredi 22 septembre au cœur des vieux docks reconvertis. « Il y a en Afrique tous ces artistes et ces galeries incroyables, mais il n’y avait jusque-là pas d’institution majeure pour les rassembler », a résumé l’architecte britannique Thomas Heatherwick.

L’édifice à lui seul est une pièce d’art et une prouesse architecturale. La réhabilitation du bâtiment fait la part belle au béton et sauvegarde l’aspect originel du silo, abandonné depuis 2001. A l’intérieur, un atrium de 27 mètres a été creusé, comme avec une cuillère à boule, dans les 42 tubes gigantesques qui auparavant stockaient du maïs. Sur neuf étages, le bâtiment, originellement construit en 1921, dispose désormais d’une surface totale d’exposition de 6 000 m2.

« D’ici, le grain était exporté vers l’étranger. Désormais, nous avons un lieu vers lequel l’art peut revenir et duquel il ne fuitera pas », s’est enorgueilli Heatherwick. Pour l’instant, le musée accueille les œuvres du collectionneur allemand Jochen Zeitz, féru d’art contemporain africain. Ce millionnaire précoce est l’homme qui a redressé Puma. En 1993, à seulement 30 ans, il avait repris les rênes de la marque de sport, alors déficitaire.

Le collectionneur allemand Jochen Zeitz a prêté ses œuvres au nouveau musée « pour une durée indéterminée ». / Rodger Bosch/AFP

En l’espace d’une décennie, il en a fait une entreprise rentable et branchée, et le principal sponsor de footballeurs africains. Zeitz, qui a obtenu d’avoir son patronyme accolé au nom de ce nouveau lieu emblématique, prête sa collection « pour une durée indéterminée ». Certains critiques soulignent que l’aventure est pour lui plus bénéfique que philanthropique : sa fondation personnelle investirait très peu d’argent dans l’institution, en comparaison de la prise en charge des frais d’entretien des œuvres par le musée. Zeitz mobilise néanmoins son carnet d’adresses fourni. Par des levées de fonds et autres dîners de gala à plus de 4 000 euros le couvert, un fonds d’acquisition a été constitué pour doter, à terme, le musée d’une véritable collection permanente.

« Jusqu’ici, les artistes africains devaient être exportés sur d’autres continents, pour une question de visibilité, de carrière, de crédibilité. » Touria El Glaoui, fondatrice de la Foire 1:54

L’ouverture du Zeitz MOCAA change la donne pour les artistes et les acteurs du monde de l’art contemporain africain. « Avoir un premier musée avec une ambition mondiale sur le continent africain a toujours été une attente forte », explique la curatrice franco-marocaine Touria El Glaoui, fondatrice de la foire d’art contemporain africain 1:54. « Jusqu’ici, les artistes africains devaient absolument être exportés sur d’autres continents, dans des musées internationaux, pour une question de visibilité, de carrière, de crédibilité. »

Ce projet est aussi accompagné de son lot de controverses. L’emplacement du musée, notamment, fait débat. Le choix du Victoria & Albert Waterfront, le front de mer du Cap, le site le plus visité d’Afrique du Sud, est judicieux, car situé sur le trajet des touristes internationaux. Mais l’organisation spatiale de la ville, héritée de l’apartheid, divise Le Cap entre un centre blanc et aisé, et des townships où la population noire est des plus défavorisées. Difficile dès lors pour le Zeitz MOCAA d’attirer un public qui n’a jamais mis les pieds dans un musée. Telle est pourtant l’ambition affichée.