Dans un incubateur de start-ups à Paris, en juillet 2015. / Charles Platiau / REUTERS

Alors que la réforme du code du travail agite la rentrée politique, syndicale et patronale, elle ne semble pas préoccuper les start-up. Et pour cause. La priorité de beaucoup de ces entreprises n’est pas d’obtenir davantage de flexibilité – elles en jouissent déjà, notamment en faisant appel à des prestataires ou à des indépendants –, mais d’assurer leur survie. Car si certaines, comme Blablacar ou Vente-privée, connaissent un certain succès, d’autres de taille plus modeste résistent difficilement. La jeune pousse se concentre donc sur son produit et sur la manière de pérenniser son modèle économique. Ce n’est que plus tard, lorsqu’elle est amenée à grossir, que les questions de droit du travail s’imposent.

« Au démarrage, on ne se pose pas vraiment la question de savoir comment on va pouvoir licencier telle ou telle personne, car on est dans une perspective d’embauche et de croissance », explique Florent Artaud, responsable juridique de La Ruche qui dit oui !, une plate-forme cofondée par Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat auprès du premier ministre chargé du numérique, qui permet à des agriculteurs de vendre leurs produits par des circuits courts.

Cette start-up a doublé son effectif en cinq ans. Aujourd’hui, elle emploie 135 salariés en France, dont soixante à Paris. Il y a quelques mois, La Ruche qui dit oui ! a déménagé dans des locaux plus spacieux et flambant neufs, rue de la Roquette, au fond d’une jolie impasse pavée du 11e arrondissement de Paris. Dans les start-up de moins de vingt salariés, qui fonctionnent souvent sur un modèle d’organisation horizontale avec des équipes jeunes, la communication est fluide. Mais plus l’entreprise grossit, moins il est facile de rendre la stratégie visible par tous.

« Ces hypercroissances ne sont pas évidentes à gérer, reconnaît Solenne Mutez, responsable des relations presse et déléguée du personnel à La Ruche qui dit oui ! Dans ces moments-là, ce qui manque, c’est la formation au droit du travail, tant pour les salariés que pour la direction. Car cette méconnaissance du système peut mener à des inégalités. Il ne faudrait pas que la fusion des instances représentatives du personnel implique une réduction des budgets et des heures de délégation allouées… Aujourd’hui, si l’on décide de faire appel à une expertise extérieure pour nous aider par exemple à étudier les comptes de l’entreprise, c’est pris en charge à 100 % par l’entreprise. A l’avenir, 20 % sont censés être pris sur le budget des délégués du personnel. »

Mais le marché du travail dans le secteur des start-up est très différent du marché du travail traditionnel. Le droit du travail, tel qu’il a été conçu à l’origine pour le travail industriel posté, se retrouve par certains aspects inadapté ou contraignant au regard de l’ampleur des formalités administratives qu’il implique, estime Godefroy de Bentzmann, président de Syntec numérique, le syndicat professionnel des entreprises de services du numérique. « Les jeunes fondateurs n’ont pas de compétence spécifique en relations humaines et peu de temps à y consacrer du fait de l’importance prise par le développement, précise-t-il. Ces formalités augmentent de manière vertigineuse avec la progression de l’effectif salarié, notamment avec le franchissement du seuil de cinquante salariés, qui impose la désignation d’institutions représentatives du personnel. »

« L’allégement des procédures à travers des mesures comme le droit à l’erreur [qui permet à l’employeur, s’il se trompe de bonne foi dans l’accomplissement d’une obligation réglementaire, de ne pas être sanctionné par l’administration] ou la fusion des instances représentatives du personnel est appréciable pour l’employeur, confirme Patrick Foster, directeur général adjoint chez Drivy, spécialiste de la location de voitures entre particuliers. Aujourd’hui, il n’est pas rare que des PME de quarante-neuf personnes hésitent à en embaucher une cinquantième, de peur des obligations que cela implique. »

Les ordonnances juridiques auront l’avantage de mettre à jour certaines dispositions déjà utilisées dans les start-up, comme le télétravail, dont les conditions (indemnité d’occupation du domicile, chauffage, etc.) n’étaient pas toujours adaptées à leur mode de fonctionnement, souligne Florent Artaud. « Depuis sa création, La Ruche qui dit oui ! a prévu une annexe dans ses contrats de travail qui définit les conditions du télétravail, détaille-t-il. Elle permet au salarié de travailler de chez lui une fois par semaine. Ces ordonnances colleront peut-être plus à la réalité que ce que les textes prévoient actuellement. »

Dans les start-up, où les projets changent très vite, le contrat de projet, ou de chantier, qui permet à l’entreprise d’embaucher un salarié jusqu’au moment où la mission est accomplie, pourrait répondre à leurs besoins. « Si on donne à l’employeur cette possibilité de recruter une équipe juste, par exemple, sur la conception d’un nouveau produit, c’est à double tranchant, tempère Solenne Mutez. C’est une bonne chose car la personne accède à un CDI plutôt qu’un CDD, mais, en même temps, ça n’oblige pas l’employeur à faire l’effort d’essayer de lui trouver une autre place dans l’entreprise. »

Dans ces entreprises innovantes, on constate souvent un gros turn-over. Les employeurs recherchent des candidats aux niveaux de qualification et d’employabilité très élevés. « Finalement, la plus grosse difficulté que rencontre une start-up est de recruter, et de garder ses salariés, résume Pierre Aidan, cofondateur de Legalstart, une start-up lancée en 2013 qui propose aux créateurs d’entreprise de gérer leurs besoins juridiques en ligne. C’est le challenge technique qui motive les salariés. La responsabilité de l’entrepreneur est donc de veiller à leur proposer régulièrement de nouveaux projets. » « Dans le secteur de la tech, le rapport de force employeur-employé est à l’avantage des salariés, assure Patrick Foster. Cette réforme n’y changera rien. »

Le code du travail devrait-il aller plus loin ? Dans le cas de La Ruche qui dit oui !, les responsables de ruche reçoivent 8,35 % du prix de vente perçu par le producteur, mais ils ne sont pas salariés. Une des pistes d’évolution serait de réadapter le code du travail pour leur ouvrir la protection sociale. Ou encore de permettre d’ouvrir le capital de la start-up à ces travailleurs non salariés. « Il manque cruellement un outil de rémunération et d’incentive [outil de management destiné à récompenser les personnes] pour les collaborateurs qui décident de travailler dans les start-up et à qui on ne peut verser de salaires élevés. Il faut mettre en place un mécanisme fiscal de juste retour sur capital », estime Godefroy de Bentzmann, qui regrette à ce titre « la lourdeur des prélèvements qui frappent toujours l’épargne salariale, en particulier le forfait social de 20 % ».

Les entrepreneurs européens se plaignent souvent de la difficulté à lever des fonds sur leur propre sol. « L’accès aux sources de financement s’améliore, mais il est encore largement possible de nous améliorer, précise Patrick Foster. Il manque en France une politique ambitieuse qui démocratise et favorise l’investissement de long terme dans le secteur des start-up. »

Code du travail : une journée sur Le Monde.fr consacrée aux enjeux de la réforme

Les ordonnances réformant le code du travail sont présentées vendredi 22 septembre en conseil des ministres, à la veille et au lendemain de nouvelles mobilisations sociales contre cette réforme. A cette occasion, les équipes du Monde.fr organisent une journée spéciale ponctuée par plusieurs rendez-vous :

  • Le matin, Sarah Belouezzane, journaliste chargée des questions liées à l’emploi au service politique du Monde, reviendra sur les enjeux de la réforme et sur la mobilisation de jeudi.

  • L’après-midi, Thomas Breda, chargé de recherche au CNRS, spécialisé en économie du travail, répondra aux questions des lecteurs à propos de l’impact de la réforme sur les salariés et sur les négociations au sein des entreprises.

  • “La réforme du code du travail, une exception européenne ?” Pour conclure cette journée spéciale, la directrice de recherche au CNRS et docteure en droit Emmanuelle Mazuyer échangera avec les lecteurs sur la manière dont cette réforme s’inscrit plus largement dans un mouvement de réforme européen.

Tout au long de la journée, retrouvez par ailleurs des éléments d’analyse et d’explication de cette réforme, des témoignages de salariés et les réactions politiques et syndicales au lendemain de la deuxième journée de mobilisation nationale.