Denis Gargaud-Chanut, aux Jeux olympiques de Rio, le 9 août 2016. / IVAN ALVARADO / REUTERS

La conversation roulait sur les différences entre canoë et kayak. Puis vint « la poussée d’Archimède » et autres concepts physiques expliquant les mouvements des bateaux. Pour finir sur ce constat : le canoë-kayak est un sport « très cérébral », tranche Denis Gargaud-Chanut, à la table d’un café parisien. Sur l’eau, le céiste cogite vite, très vite : déjà trois titres de champion du monde (2010 puis 2011) en canoë et une médaille d’or olympique en 2016.

Le Provençal tentera de confirmer son statut cette année lors des championnats du monde ouverts, samedi 23 septembre, à Pau (Pyrénées-Atlantiques). « Il faut une certaine intelligence pour pratiquer un sport comme le canoë. Les neurones travaillent beaucoup. » Au plus haut niveau, ce sont même eux qui feraient la différence : tout se joue, selon lui, dans la « fraîcheur mentale », « dans cette capacité à réagir à des situations imprévisibles ».

Une finale de canoë ? « Le moment dans [sa vie] » où Gargaud-Chanut, 30 ans, a « l’impression d’utiliser le plus à fond [son] cerveau. » Dit autrement : 90 petites secondes au sortir desquelles il termine toujours « effondré de fatigue », les synapses « en ébullition » à force de « réfléchir, d’agir, d’avoir à faire le bon choix sur une multitude de choix en une milliseconde ». Cela, malgré le décorum de la compétition et toute « la pression » qui va avec.

Discours interne

« Ton corps a une mémoire. Ton esprit aussi. S’il y a une vague que je n’avais pas prévue juste avant de franchir une porte à 15 km/h, le fait d’avoir répété 1 000 fois cette situation à l’entraînement va m’aider à faire le bon choix. »

Autre exemple :

« Pendant mes courses, j’ai un gros discours interne. Beaucoup plus rapide que si je prononçais ces mêmes phrases à l’oral. En deux secondes, ça peut donner :’Tiens, attention, il y a une série d’enchaînements compliqués, il faut que je reste concentré. »

A force de pratiquer depuis ses 12 ans, le sportif a eu le temps de se parler. Et de « comprendre comment ça marche », le canoë : « souvent, on ne connaissait pas certaines règles de physique, mais au fur et mesure, on se rend compte qu’on les applique. » Il y a donc cette fameuse poussée d’Archimède, celle qui permet de comprendre l’importance du volume des bateaux et leur façon de « rebondir » sur les flots.

Il y a aussi la composition de ces bateaux. Du matériau composite, de la fibre carbone, très loin des ancestrales embarcations qui ont développé le kayak (chez les Inuits) et le canoë (chez les chasseurs amérindiens). Savoir comment apporter à un bateau juste ce qu’il faut de « rigidité », ce qu’il faut de « rebond », voilà « une connaissance qui a de la valeur, très bien payée », assure le champion du monde. « Une denrée rare pour l’industrie en France », insiste-t-il.

« Je pense que chacun a une intelligence différente. » Celle de Gargaud-Chanut est pratique, plutôt que scolaire. « Je n’ai jamais été fait pour le système scolaire tel qu’il existe, j’en ai souffert, et je ne pense pas pourtant être moins bête que ceux qui sont diplômés. » Le sportif a arrêté les études à l’âge de 16 ans, en classe de 1ère économique, sans même essayer de passer le bac de français.

Denis Gargaud Chanut (FRA) - Semifinal C1M - 2016 ECA Canoe Slalom European Championships
Durée : 01:43

Oeuf au plat

Depuis que je suis gamin, j’adore découvrir les choses par moi-même. Même quand ma mère essayait de m’apprendre à faire un oeuf au plat, on s’engueulait. Je lui disais :’Laisse-moi faire, je vais trouver’. A l’école, j’avais l’impression qu’on me donnait la fin du film tout de suite, et qu’on me disait : voilà comment on arrive à ce résultat.

Gargaud-Chanut dresse ce constat sans rancune. Fils d’un responsable des médecins-conseils à la Sécurité sociale et d’une directrice de maisons de retraite, il n’est pas de ceux qui en veulent au corps enseignant. Le jeune père se réjouit aujourd’hui de voir sa fille en maternelle prendre bientôt le chemin de l’école élémentaire. « Je n’ai pas la science infuse et je me garderais bien de donner des leçons aux profs. »

Un regret, toutefois :

« A mon époque, la filière générale était la seule qu’il fallait faire, certains crachaient sur les filières professionnelles. Moi, j’ai voulu aller dans une école hôtelière, la cuisine m’a toujours passionné. Mais on m’a dit que ce ne serait pas possible de combiner école hôtelière et formation de sportif de haut niveau.

Le céiste s’apprête à disputer ces championnats du monde 2017 dans la ville de son prédécesseur, le Palois Tony Estanguet : ce dernier, triple champion olympique (2000, 2004 et 2012), a suivi une formation en école de commerce et obtenu le diplôme de l’Essec. Gargaud-Chanut aussi vient de suivre une formation dans une autre école de commerce, à Marseille : il dirige aujourd’hui une entreprise de produits énergétiques en parallèle de sa carrière sportive. « Il me manque seulement 5 crédits sur 60 pour obtenir le diplôme. Mon école aimerait que je le passe. » Lui n’y tient pas outre mesure.

Programme des finales

Mardi 26 septembre : slalom et descente (courses par équipes)

Jeudi 28 : canoë biplace mixte

Vendredi 29 : slalom (canoë biplace homme, canoë femme et kayak homme)

Samedi 30 : slalom (kayak femme et canoë homme) et descente

Dimancher 1er octobre : slalom extrême (kayak homme et femme)