Un rassemblement pour l’indépendance kurde, à Erbil, en Irak, le 22 septembre 2017 / AZAD LASHKARI / REUTERS

Editorial du « Monde ». Ce n’est pas le bon moment. Voilà ce que les pouvoirs établis répondent aux Kurdes, les rares fois où ceux-ci peuvent faire valoir leur droit à l’autodétermination.

Ankara et Téhéran craignent qu’un tel référendum stimule les ambitions de leurs propres minorités kurdes.

Ce discours est aujourd’hui une nouvelle fois tenu aux Kurdes d’Irak au moment où le parti prépondérant chez eux entend organiser, lundi 25 septembre, un référendum sur l’indépendance de cette région de l’est de l’Irak.

Tout le monde est contre cette consultation. Le gouvernement central à Bagdad, bien sûr, qui observe, à juste titre, qu’elle est contraire à la Constitution fédérale votée par une majorité d’Irakiens en 2005. Les amis occidentaux des Kurdes, à commencer par les Etats-Unis, qui ne veulent pas affaiblir davantage l’Irak en ce moment de reconstruction.

Les Russes ne sont guère enthousiastes. Les voisins des Kurdes irakiens – la Turquie et l’Iran –, qui les soutenaient jusqu’à présent et dont ils dépendent massivement, se disent farouchement opposés à ce référendum.

Sans l’appui économique d’Ankara, premier investisseur local, le Gouvernement autonome du Kurdistan d’Irak (dit KRG), région totalement enclavée, ne survivrait pas économiquement. Pas davantage sans l’aide de l’Iran aussi, dont la frontière avec le KRG est grande ouverte et qui, à l’été 2014, a été le premier à se porter au secours d’Erbil, la capitale kurde irakienne, sur laquelle fonçaient les colonnes djihadistes de l’Etat islamique (EI). Ankara et Téhéran craignent qu’un tel référendum stimule les ambitions de leurs propres minorités kurdes.

A cet environnement extérieur, d’autant moins propice que les Kurdes ont aussi besoin des Occidentaux, il faut ajouter une situation locale difficile qui relève de la politique kurdo-kurde. L’initiative du scrutin revient à Massoud Barzani, président de facto du KRG (il n’a plus de mandat depuis la dissolution du Parlement régional en 2015) et chef du parti majoritaire, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK).

Le Gouvernement autonome du Kurdistan d’Irak est un des rares endroits de liberté religieuse au Moyen-Orient.

Personne ne conteste la légitimité historique et le rôle central de M. Barzani et de sa famille dans le long combat des Kurdes. Mais nombreux sont ceux qui soupçonnent le président d’organiser ce vote pour se sortir de la crise que connaissent les institutions locales kurdes. D’autres y voient le moyen pour le PDK de perpétuer un mode de gouvernement dynastique, assurément clientéliste et souvent corrompu.

Enfin, ce vote a lieu alors que les Kurdes d’Irak ont profité de l’affrontement de l’EI pour s’emparer de zones contestées, peuplées de Kurdes mais aussi de minorités – arabes, turkmènes, yézidis – auxquelles on ne demande pas leur avis et que l’on malmène volontiers.

En première ligne face à Daech

Tout cela est vrai. Mais les Kurdes n’ont pas tort de dire, de leur côté : pour nous, ce n’est jamais le bon moment. Les combattants kurdes ont perdu 2 000 hommes, tenant 1 200 km de front face à l’EI. Ils ont accueilli des centaines de milliers de réfugiés – arabes chrétiens et musulmans.

Le KRG est un des rares endroits de liberté religieuse au Moyen-Orient et, en moins de quinze ans d’autonomie, il a réussi beaucoup de choses – santé et éducation, sécurité du territoire – même s’il en a aussi raté, notamment en matière de gouvernance.

Ce scrutin aura un sens s’il permet aux 8 millions de Kurdes irakiens, non pas de décréter une indépendance qui les affaiblirait aujourd’hui, mais d’être en position de force pour obtenir de Bagdad un fédéralisme beaucoup plus poussé. Afin de continuer à acquérir pacifiquement la maîtrise de leur destin.

Le Kurdistan irakien, territoire en crise, à l’avenir incertain