De leur propre aveu, leur chute serait « inévitable ». Au cœur du plus gros scandale politico-financier actuel en Afrique du Sud, la richissime fratrie d’industriels indiens, accusée d’avoir « capturé » l’Etat sud-africain et son président Jacob Zuma, n’a plus que quelques jours pour trouver une nouvelle banque pour ses entreprises, sans quoi il lui sera difficile d’exercer ses activités. Pour ses détracteurs, l’effondrement de l’empire Gupta est en vue.

Le 30 septembre, la Bank of Baroda, la dernière banque qui permettait encore à vingt entreprises possédées ou liées aux Gupta d’effectuer des transactions financières, va clôturer tous leurs comptes. Oakbay, la holding familiale, a bien tenté d’empêcher la manœuvre au tribunal, argumentant que cela aurait « un impact désastreux pour leur business », avec des conséquences pour leurs milliers d’employés, dont les salaires ne pourraient plus être versés. Jeudi 21 septembre, le juge Hans Fabricius a débouté la demande, arguant qu’il y avait de fortes suspicions que les Gupta aient « saboté l’intégrité du système financier, pour le dire gentiment ».

La base arrière de Dubaï

Depuis le grand déballage, fin mai, des GuptaLeaks – près de 200 000 courriels confiés par des lanceurs d’alerte à des journaux d’investigation, dont Le Monde – l’étau se resserre autour des Gupta et de leurs activités en Afrique du Sud. Déjà, en 2016, les quatre plus grandes banques sud-africaines avaient fermé leurs comptes, alors que des dizaines de transactions effectuées par leurs entreprises étaient jugées « suspicieuses » par le ministère des finances.

Désormais, pour la famille la plus honnie du pays, l’unique option restante serait de vendre ses actifs. Fin août, les Gupta ont commencé à démanteler leur empire en mettant en vente leur bras médiatique et leur compagnie minière. Résilient malgré la débâcle, ils ne semblent toutefois pas à une combine près pour s’assurer qu’ils ne repartent pas d’Afrique du Sud comme ils y sont arrivés, dans les années 1990, en tant que simples revendeurs de matériel informatique.

Oakbay a ainsi vendu la chaîne de télévision ANN7 et le journal The New Age à Mzwanele Manyu, un ancien porte-parole du gouvernement, fidèle de Jacob Zuma. Etrangement, ce sont les Gupta eux-mêmes qui ont accordé un prêt sans conditions de 30 millions d’euros à M. Manyu pour lui permettre de financer cette acquisition. Celui-ci a donc tout d’un prête-nom qui permettra aux Gupta de poursuivre leurs activités si nécessaire depuis l’étranger.

Or l’opposition sud-africaine craint justement qu’ils ne plient bagage pour Dubaï, leur base arrière, où, en l’absence d’accord extradition, ils pourraient échapper à la justice sud-africaine. Celle-ci avance très lentement. Le 6 septembre, le procureur général Shaun Abrahams a finalement confirmé que les fuites des GuptaLeaks étaient désormais intégrées à l’enquête sur la capture de l’Etat, lancée suite à un rapport publié fin 2016 montrant comment les Gupta s’y prenaient pour influencer la nomination de ministres et remporter de juteux contrats publics. Mais, malgré des révélations quasi quotidiennes dans la presse locale et alors que la fratrie et Jacob Zuma continuent de démentir leurs liaisons dangereuses, les Gupta n’ont pas encore été officiellement inquiétés.

Du côté du Parlement, l’opposition menée par l’Alliance démocratique (DA) n’est pas parvenue à faire tomber le président ou les ministres impliquées. Aussi redouble-t-elle d’efforts contre les grands groupes internationaux qui font affaire avec les Gupta, accusés de négligence, voire de complicité.

Organisations caritatives

Début septembre, l’agence de communication londonienne Bell Pottinger s’est ainsi retrouvée dans l’œil du cyclone, accusée d’avoir fomenté une campagne publique désastreuse ravivant les tensions raciales. Suite à une plainte de DA, l’agence, qui perd en nombre ses gros clients, a été exclue de l’association professionnelle de son secteur. Depuis, son PDG, James Henderson, a démissionné, et la société a été placée en cessation de paiement.

Le 15 septembre, sept dirigeants de la branche sud-africaine du cabinet d’audit KPMG, y compris le directeur général, ont remis leur démission, suite à la publication d’une enquête interne sur le travail réalisé pour le compte de la famille Gupta. Le cabinet les aurait aidés à transférer des fonds vers Dubaï en montant des sociétés écrans, parmi d’autres techniques d’évasion fiscale. La maison mère s’est depuis engagée à reverser 3 millions d’euros correspondant aux honoraires versés par les Gupta à des organisations caritatives.

Désormais, c’est au tour du cabinet américain McKinsey de subir les foudres du parti de Julius Malema, soupçonné d’avoir aidé l’entreprise Trillian Capital Partners, liée aux Gupta, de détourner des fonds de la compagnie nationale d’électricité Eskom. Alors que le DA a porté plainte en Afrique du Sud, des organisations anti-corruption se préparent à faire de même aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Si l’empire Gupta s’effondre, le scandale, lui, ne risque pas de s’éteindre de sitôt.