Mega Man contre Captain Marvel dans « Marvel vs Capcom Infinite ». / Capcom

Il y a eu des moments où certains neurones apeurés menaçaient de sauter du haut du pavillon de l’oreille interne, dans un geste désespéré. D’autres où des globes oculaires passablement effrayés se demandaient s’ils étaient retenus prisonniers dans une vieille rediffusion VHS de Tortues Ninja ou Musclor. Et si les doigts tapotaient gaiement sur ces manettes qui n’exigeaient pas grand chose de subtil de leur part, c’est en partie pour se tenir éveillés et se donner une consistance, au milieu de la tempête de bêtise décomplexée de l’histoire principale.

C’est ainsi. Marvel vs Capcom Infinite, sorti le 12 septembre sur PlayStation 4, Xbox One et PC, appartient à la catégorie des jeux vidéo cracra. Pas beaux, pas intelligents, pas très bons – une espèce devenue relativement rare à ce niveau de budget sur consoles haute définition. Et en ce sens, par un étrange petit miracle, il en deviendrait presque sympathique. Une sorte de série Z dont on ignore si elle le fait exprès, mais dont il faut bien rire, puisqu’il n’y a plus que ça à en faire.

Personnages caricaturaux

MvCI, comme l’appellent les puristes, narre l’alliance entre les héros de Marvel (Captain America, Spider-Man, Iron Man, Rocket Racoon, Hulk, et tant d’autres – mais pas Wolverine) et ceux de l’éditeur de jeu vidéo Capcom (Ryu et Chun Li de Street Fighter, Dante de Devil May Cry, le chevalier Arthur de Ghost’n Goblins, Megaman et Zero de Megaman, Chris Redfield et le monstre Nemesis de Resident Evil, etc.). Après « la grande Convergence », anomalie spatio-temporelle bienvenue pour justifier un scénario forcé, la quarantaine de héros en pixels ou lycra s’allie pour récupérer six gemmes cosmiques et, in fine, combattre l’infâme Ultron, parce que la Terre, il faut bien la sauver pour pas mourir d’ennui, ma p’tite dame.

Marvel vs. Capcom: Infinite Gameplay Trailer
Durée : 01:05

Cinématiques à rallonge, dialogues « débilous », personnages caricaturaux, rebondissements insipides, mise en scène sans idée, situations grotesques, jeu d’acteur raté, modélisation grossière et effets lumineux de stand crêpe-frites-kebab à la fête foraine : le mode histoire de Marvel vs Capcom Infinite irradie de la beauté pure d’un nanar cosmique. Il a l’étincelle inoubliable de la série Z d’antan, celle qui clignote en vert et mauve fluo ; et dans sa grandeur déviante, il ferait parfois presque passer le film Mortal Kombat pour un Jean-Luc Godard.

Une partie de ce sublime désastre s’explique par des raisons structurelles : MvCI met juste en avant tout ce que la pop culture des années 1970 à 1990 a produit de plus cliché. Mieux : on dirait qu’il a méticuleusement sélectionné chaque héros et chaque doubleur pour obtenir la quintessence du manque d’idées.

D’un côté des héros masculins bruns, musculeux, voix grave et neuneus, dont il importe finalement peu qu’ils portent un bouclier étoilé (Captain America), un kimono (Ryu), une combinaison de ninja (Strider Hiryu) ou un treillis (Chris Redfield). Vides et interchangeables, ils se contentent de bander leurs pectoraux en images de synthèse avec le regard bovin satisfait d’une brochette d’Expandables du pauvre. Quitte à rester enfermer dans les schémas narratifs caricaturaux des années 1980, autant donner dans le Mortal Kombat, qui assumait d’en être la parodie.

Entre série Z et série de gnons

« Marvel vs Capcom Infinite » irradie de la beauté pure d’un nanar cosmique. / Capcom

Pourtant, d’autres personnages relèvent un peu le casting. Mais en faisant presque chaque fois doublon : Spider Man est aussi frimeur que Dante, Hulk aussi bas du front que Mike Haggar, Captain Marvel aussi sage que Chun-Li, etc. Il y a bien quelques alliances surprenantes, comme celles de Megaman et Rocket Racoon, ou de Ghost Rider et Carrigan. Mais à chaque fois, c’est sur l’unique registre du contraste entre deux personnages stéréotypés qu’ils fonctionnent. Loin de la finesse de certains Marvel récents, comme le crépusculaire Logan, le titre de Capcom reste campé au stade artistique du mauvais dessin animé américain des années 1980.

Par chance, Marvel vs Capcom Infinite est aussi un jeu, ce que les interminables cinématiques du mode principal feraient souvent oublier. Un jeu de combat dans la plus pure tradition du genre, avec des combats en deux contre deux et des combos à foison. Et il s’avère même plutôt plaisant à jouer, grâce à un système flatteur : les combinaisons de touches à réaliser sont toutes très simples et permissives, les attaques spectaculaires, et les effets spéciaux tapageurs. Loin d’un Tekken austère et réaliste, MvCI joue à plein la carte de l’amplification : il en faut peu, manette en main, pour se sentir investi du pouvoir de Musclor (et de son QI, aussi).

Dans ses meilleurs moments, le jeu de Capcom réussit même par un adroit pas de côté à faire exister des héros venus d’univers bien éloignés de celui-ci. Ce sont surtout les protagonistes les plus exotiques qui donnent son intérêt au jeu. Passe encore le croustillant Rocket Racoon, aux dimensions riquiqui, ou au contraire Nemesis, expérience génétique géante, lente et surpuissante. Mais les vraies stars s’appellent Arthur – caution rétro et humoristique précieuse avec ses mouvements directement empruntés à ses aventures de 1986 – ; et l’inattendu Frank West, journaliste sorti de la série romerienne Dead Rising, et qui se bat à coups de batte, de plots, d’appareil photo, de caddie et même de zombie-projectile. Ce côté foutraque et n’importe quoi est salvateur au milieu d’une forêt de personnages semblables, insipides et épurés, à l’image d’une Chun Li qui a rarement paru si pâle.

Le mode arcade, et surtout le mode en ligne, contre d’autres joueurs, permettent d’apprécier toutefois les ressources parfois insoupçonnées de ces combattants. Quitte à se retrouver, parfois, coincé dans un interminable enchaînement de cinquante coups en tombant contre un adversaire humain un peu plus entraîné. Seule certitude : entre série Z et série de gnons, Marvel vs Capcom Infinite tape sur le crâne, et bon an mal an, c’est à la fois ce qu’il sait faire de mieux, et la seule chose qu’il sait faire.

En bref

On a aimé :

  • Très facile à prendre en main
  • Des associations de persos inattendues
  • En combat, des styles de jeu très variés
  • Jouer Arthur et Frank West < 3
  • Le scénario de direct-to-video de 1987

On n’a pas aimé :

  • Dialogues débiles et doublages américains clichés et bas de gamme
  • Visuellement, c’est quand même pas très jojo…
  • Se faire prendre dans des combos de 50 coups
  • Trop de personnages similaires
  • Le cerveau qui fond devant le mode histoire

C’est pour vous si :

Ce n’est pas pour vous si :

  • Vous aimez le beau
  • Ou l’art
  • Ou l’intelligence
  • Bref, si vous êtes exigeant

La note de Pixels :

50 HITS ULTRA FACEPALM COMBO