« Pour tout résultat de son ambition de « rendre sa grandeur à l’Amérique », la politique de Donald Trump n’a nullement contribué à une quelconque réduction de son déficit commercial, tandis que l’excédent courant de la zone euro continue de dépasser 3 % du PIB.« / Dado Ruvic / REUTERS

Dans les années qui ont suivi son lancement officiel en 2002, l’euro a rapidement gagné ses galons de monnaie de réserve. Les investisseurs étrangers, privés comme public, ont investi massivement dans la zone euro, si bien qu’entre 2002 et le début de 2008, la part de la monnaie unique dans les réserves des banques centrales est passée de 14 % à 27 %.

Mais la crise financière de 2008 a brutalement enrayé cette dynamique. Le dollar américain a retrouvé son statut de monnaie refuge incontournable. Et, quand la zone euro a traversé sa première grande crise politique et économique en 2011, le mouvement de défiance à l’égard de l’euro s’est renforcé.

En dépit des efforts de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, la part des actifs européens dans les portefeuilles des investisseurs américains, qui atteignait 40 % avant 2008, est retombée sous les 30 % au début de 2017. Participant du même mouvement, la part de l’euro dans les réserves des banques centrales est retombée à moins de 19 %.

Par un concours de circonstances – qu’il était bien hasardeux d’anticiper il y seulement un an –, l’euro pourrait bien aujourd’hui être à l’aube d’une nouvelle phase de renforcement de sa valeur stratégique.

Quand Donald Trump a été élu président des Etats-Unis en novembre 2016, sa plate-forme économique pouvait légitimement annoncer une période de dollar fort. En effet, son programme néo-mercantiliste promettait de renforcer l’économie américaine à coup d’investissement public et de réforme fiscale.

Dans le même temps, la zone euro rentrait de nouveau dans une période de doute : la vague populiste qui traversait le monde anglo-saxon fit redouter que la chute des dominos s’étende jusqu’à l’élection présidentielle de la deuxième économie de la zone euro. L’avenir de la monnaie unique était alors lourd de menaces, tandis que la victoire de l’espoir sur la lucidité faisait s’envoler le billet vert.

De façon très spectaculaire, l’année 2017 a profondément renversé la perspective pour les investisseurs. La capacité de Donald Trump de tenir ses promesses économiques s’est fracassée en quelques mois contre le principe de réalité. La répression commerciale, quant à elle, a aussi dû être redimensionnée rapidement. Pas si facile de faire rendre gorge à la Chine quand on est partie prenante d’une économie globale intégrée !

En outre, peu après la défaite retentissante du parti nationaliste néerlandais de Geert Wilders aux législatives [organisées en mars en Hollande], l’élection présidentielle française a vu la victoire d’Emmanuel Macron, candidat résolument proeuropéen et réformiste.

Ce retournement de situation va plus loin qu’il y paraît. En effet, depuis six ans, l’Allemagne se sentait de plus en plus seule au sein d’une zone euro dont elle trouvait l’indiscipline économique de ses membres désespérément incorrigible. Par conséquent, le tournant géopolitique des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne menaçait de l’isoler radicalement.

Dans ce contexte, l’élection d’Emmanuel Macron est survenue comme une lueur d’espoir inespérée pour Angela Merkel. Un authentique leader européen et réformiste offre pour la première fois depuis longtemps la possibilité d’un axe franco-allemand crédible pour offrir à la construction européenne une épine dorsale solide.

En d’autres termes, le populisme économique dans sa version américaine a donné un coup de massue au scepticisme européen. Le sérieux et la stabilité qu’incarne Angela Merkel vont, de plus, l’amener avec une confortable avance aux élections générales d’octobre, ce qui sécurisera la perspective de cet axe franco-allemand si critique.

Ce tournant pourrait être décisif pour la valeur des monnaies. En effet, pour tout résultat de son ambition de « rendre sa grandeur à l’Amérique », la politique de Donald Trump n’a nullement contribué à une quelconque réduction de son déficit commercial, tandis que l’excédent courant de la zone euro continue de dépasser 3 % du PIB. Par conséquent, la réalité économique constitue aussi une toile de fond favorable au redressement du prestige de l’euro pour tout gérant.

On notera au passage que le doute qui s’est introduit concernant le statut du billet vert ne se reflète pas que dans le cours de l’euro. La Chine, dont la stabilité offre le contraste le plus singulier avec l’inconstance de l’administration américaine, voit également sa monnaie s’apprécier.

La hausse du prix de l’or, ultime monnaie de réserve, constitue un avatar supplémentaire des malheurs des Etats-Unis. Le prix « intrinsèque » de l’euro, en se référant à la moyenne pondérée des monnaies de ses partenaires commerciaux, ne s’est apprécié en réalité que de 6 % depuis le début de l’année. Cela laisse encore une marge de progression si la France et l’Allemagne ne manquent pas leur rendez-vous.