La chanteuse Mathilde et son quintette à Anglet (Pyrénées-Atlantiques), lors même qu’elle n’assure que la première partie d’un Enrico Pieranunzi très détendu, frappe un grand coup. On s’attend à une « vedette américaine » de l’excellent Anglet Jazz Festival, 4e édition montée par la ville et l’association Arcad : vendredi 22 septembre, au Quintaou (belle salle en bois, prononciation qui exige la fréquentation régulière du programmateur, Marc Tambourin-Deguy, accent garanti), Mathilde éclate au grand jour.

Ici Anglet, la modeste, Anglet l’ambitieuse, 17 km de plages distribuées entre Bayonne et Biarritz, que l’on a longtemps prise pour la commune la plus étendue de France. Loin pourtant des 18 360 km2 de Maripasoula (Guyane). Ciel couleur Aviron Bayonnais (très mauvaise passe), 29,7°C à 18 heures, 8 nœuds de vent du Sud. Pyrénées visibles jusqu’au Pic du Midi.

Classique et jazz

Enrico Pieranunzi, pianiste et compositeur italien né à Rome en 1949, présente avec une classe très transalpine son album en trio, Ménage à Trois. Il voulait le nommer – énièmes noces du classique et du jazz – Improclassic. Un producteur, qui sortait de l’Essec, a eu l’illumination du titre attribué : Ménage à Trois.

« Le classique comme épouse, le jazz comme amante », Diego Imbert à la contrebasse (formidable !) , et André Ceccarelli, que je vous prie de montrer à vos petits-enfants, de toute urgence, aux drums. Ceccarelli, vos petits lardons qui se sont pris de passion pour la batterie (les filles, plus nombreuses aujourd’hui, d’après les statistiques du Medef), seront priés d’observer pendant trois jours et deux nuits, le buste et surtout, le poignet droit d’André Ceccarelli (né à Nice en 1946) : juste pour déceler les cent-quarante-sept muscles et tendons, la souplesse, le rebond, ce swing intégré, qui contribuent à la magie de l’affaire. Mais aussi à sa dignité.

Pieranunzi, Imbert et Ceccarelli donnent à croire que tout coulerait de source

Pour résumer, Pieranunzi, Imbert et Ceccarelli, pure question de finesse, d’ivresse du jeu, de spontanéité sur fond d’implacable science, donnent à croire que tout coulerait de source… Le récital reprend le répertoire de l’album (Bonsaimusic, 2016) : première Gymnopédie de Satie, pas mal de Darius Milhaud (Crépuscule), du Shumann comme s’il en pleurait – tous les musiciens de jazz en aiment les mélodies : Tony Williams, le ténor des Platters (Only You), chantait My Serenade à mourir… Et puis aussi Liszt, Mendelssohn, Debussy… Revenez, cher Jacques Loussier dont le Play Bach Trio fit tant brailler les tristes sires du jazz, au début des années 1960 (six millions d’albums, quinze tours du monde). Ils ignoraient alors que Glenn Gould donnait sa bénédiction. On ne peut tout savoir. Revenez, vous auriez votre chance…

Persillé d’anecdotes agréablement contées par Pieranunzi, le trio aligne des œuvres d’un enjouement ou d’un « romantisme » parfaits. Classique et du jazz ? Vaste débat. Quand on entend les musiciens du Quatuor Ebène, on sent que les lignes bougent. Avec moins de sincérité que du temps d’un Portal – mais celui-ci restera strictement unique –, moins de génie, plus de souplesse éclectique. Divertissement ? Pour l’heure, on a perdu les haches de guerre.

Mathilde en « vedette américaine »

On ne dit plus « vedette américaine », locution nominale datant du music-hall (« En 1963 à l’Olympia, Henri Tisot, célèbre imitateur de De Gaulle, servit de vedette américaine à Vince Taylor. »). En revanche, on s’est mis à dire sans excès de gêne, la « chanson française » comme on a pu employer, naguère ou jadis, le syntagme figé de « musique extra-européenne »… Car il s’agit d’un syntagme, figurez-vous, particulièrement figé. Mathilde pratiquerait donc la « chanson française », par opposition, je suppose, à la chanson monégasque ou esquimau … Si elle n’y ajoutait un indéniable talent de musicienne et d’auteure.

MATHILDE ⎟ Je les aime tous ⎟ CLIP OFFICIEL
Durée : 06:14

A la tête d’un quintette qui ne se contente pas d’« accompagner » (Alexis Pivot, piano, Vladimir Medail, guitare, Etienne Renard, contrebasse, Philippe Maniez, batterie), mais installe Mathilde dans son extraordinaire présence . Fille naturelle de Mahalia Jackson et Colette Renard, Mathilde s’est fait connaître du public en chantant l’inchantable, Dis, quand reviendras-tu ? (Barbara), devant les jurés de l’émission « The Voice ».

MATHILDE & Friends ⎟ Le Corps Des Femmes
Durée : 04:21

Mathilde est d’une personnalité qui ne fait pas craindre pour son avenir

Depuis son album supervisé par Jacky Terrasson Je les aime tous (avec la participation de Stéphane Belmondo), elle aligne un répertoire très personnel, subtil, intrépide, hors norme. Chansons d’amour, chansons décidées (Le Corps des femmes), féminisme sans fards, histoires douces-amères, Mathilde est d’une personnalité qui ne fait pas craindre pour son avenir. Son exercice n’a de sens qu’avec un groupe aussi lié que le quartette qu’elle aligne. C’est de haut vol, dans l’émotion comme dans le style, et une Javanaise au rappel, a cappella et sans micro, vous a des airs de maîtrise sans filet. Une maîtrise qui porte sur les musiciens d’un festival de jazz exigeant, avec autant d’efficacité que sur le public. D’autant qu’elle pratique les blablas d’intermèdes avec la même abondance – le même charme, aussi – que Pieranunzi.

Anglet Jazz Festival (Pyrénées-Atlantiques), du 22 au 24 septembre. www.arcad64.fr/arcadprod/index.html et mathildemusic.com