Le président de la région autonome du Kurdistan, Massoud Barzani, à Erbil, le 24 septembre. / AZAD LASHKARI/REUTERS

Jusqu’au dernier instant, les responsables irakiens et leurs soutiens internationaux ont eu l’espoir que les pressions exercées sur Massoud Barzani pour annuler le référendum d’indépendance du Kurdistan irakien, lundi 25 septembre, porteraient leurs fruits. Le coup de théâtre n’a pas eu lieu. Dimanche, le leader kurde, président de la région autonome, a confirmé la tenue du scrutin, qu’il a présenté comme le premier pas d’un long processus de négociation vers l’indépendance avec Bagdad, estimant que le partenariat tissé en 2003 avait « échoué ».

Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, est apparu à la télévision, dimanche, pour asséner, avec une rare fermeté, l’opposition de Bagdad. « Prendre une décision unilatérale affectant l’unité de l’Irak et sa sécurité ainsi que la sécurité de la région avec un référendum de séparation est contre la Constitution et la paix civile. Nous allons prendre les mesures nécessaires pour préserver l’unité du pays », a-t-il promis. Conscient qu’il joue sa survie politique sur la gestion de cette crise, potentiellement déstabilisatrice alors que la lutte contre l’organisation Etat islamique n’est pas achevée et que se profilent des élections législatives au printemps 2018, M. Abadi s’est départi de son attitude conciliante.

A l’issue d’un cabinet de sécurité qui s’est tenu après ce « discours à la nation », son gouvernement a exhorté les pays étrangers à ne plus traiter avec les autorités du Kurdistan irakien dans les domaines du pétrole et des frontières et a ordonné à Erbil de lui restituer le contrôle des frontières et des aéroports. La Turquie et l’Iran avaient annoncé plus tôt de premières sanctions. Les deux pays ont suspendu leurs liaisons aériennes avec le Kurdistan irakien voisin et intensifié leurs manœuvres militaires à sa frontière.

Refus de négocier

A Bagdad, le dialogue promis par M. Barzani n’est pas une option envisagée. « Dès lors que le référendum a lieu, il n’y a pas de négociation possible sur une feuille de route pour la création d’un Etat kurde », a déclaré au Monde Ali Alaaq, membre du parti chiite Al-Dawa de M. Abadi et négociateur avec Erbil.

Bagdad refuse une négociation dont l’issue est fixée à l’avance par un référendum. Si la solution fédérale, prévue par la Constitution irakienne, a leur préférence, ils n’envisagent sa remise en cause – pour une confédération ou l’indépendance – que par la voie d’amendements constitutionnels.

C’est la position qu’a défendue M. Abadi dans ses contacts réguliers avec M. Barzani, et en public. Le premier ministre irakien avait misé sur le succès du partenariat inédit scellé entre leurs forces de sécurité respectives lors de la bataille de Mossoul. Il avait également promis au président kurde une alliance électorale en 2018 pour l’amener au compromis. Si M. Barzani a gratifié le premier ministre irakien de marques de respect, il a jugé son avenir politique trop incertain pour accepter une alternative négociée sans garanties fermes des Nations unies et des Etats-Unis. Or, celles-ci ne sont jamais venues.

Une fois le dialogue rompu, le premier ministre irakien s’est joint, dimanche, aux voix qui, à Bagdad, n’ont cessé de tirer à vue sur le chef kurde. A son tour, il a comparé ses méthodes à celles de l’ancien dictateur Saddam Hussein et a exhorté ses « chers citoyens kurdes » à ouvrir les yeux sur les lacunes démocratiques du système Barzani, la corruption et la captation des ressources pétrolières à son seul profit.

Fragilisation de M. Abadi

« Le premier ministre Abadi ne prendra pas le risque de relancer le dialogue et d’être accusé de traîtrise par les autres partis chiites », estime un observateur étranger. Ils exploiteraient sa faiblesse pour empêcher sa reconduction à la tête du gouvernement à l’issue des législatives de 2018. La fragilisation de M. Abadi inquiète les Occidentaux, qui jugent essentiel pour la reconstruction de l’Irak son maintien au pouvoir. Ils ont redoublé d’efforts pour pousser le président Barzani à renoncer au référendum, les Etats-Unis allant jusqu’à menacer de lui retirer tout soutien politique, militaire et économique.

Le scrutin pose le problème des territoires disputés entre Bagdad et Erbil. L’Iran et ses alliés chiites irakiens ont tenté d’empêcher sa tenue à Kirkouk, une ville mixte kurde-arabe assise sur une région pétrolifère, en misant sur les divisions kurdes. Mais les visites du général iranien Ghassem Soleimani ont échoué à convaincre les responsables de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qui tiennent Kirkouk, de lâcher le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de M. Barzani.

« Nous nous en sommes tenus à ce stade à des moyens pacifiques et politiques. Mais nous sommes en droit légitime de combattre pour défendre l’intégrité du territoire irakien », menace Laïth Al-Adhari, membre du bureau politique de la milice chiite irakienne Asaib Ahl Al-Haq. La perspective des législatives de 2018 incite les partis chiites présents dans la région et leurs milices à afficher une certaine retenue. « Une action militaire est une décision politique qui incombe au gouvernement central de Bagdad et au Parlement », poursuit M. Adhari, qui juge « inimaginable » que Bagdad reste sans rien faire.

Le premier ministre Abadi a prévenu que ses forces interviendraient en cas de troubles. Mais la crise avec Erbil risque de précipiter une reprise en main de l’Iran et de la Turquie, au grand dam des Occidentaux qui perdraient un point d’appui dans la région. « Téhéran a assez de leviers au Kurdistan pour déstabiliser le président Barzani en renforçant ses adversaires, l’UPK et le parti Goran », estime un observateur étranger. Quant à la Turquie, elle n’a pas écarté l’option militaire mais peut aussi asphyxier Erbil en fermant le passage du pétrole kurde.