Il était plongé depuis quinze ans dans un état « d’éveil non répondant », souvent encore nommé « état végétatif ». Cet homme, aujourd’hui âgé de 35 ans, a récupéré un état de conscience minimale. Comment ? Grâce à une intervention neurochirurgicale : la stimulation électrique répétée d’un nerf crânien, le nerf vague. Ce résultat, publié lundi 25 septembre dans la revue Current Biology, a été obtenu par une équipe lyonnaise, associant l’Institut des sciences cognitives-Marc Jeannerod (CNRS - université de Lyon) et les Hospices civils de Lyon. « Cette avancée très importante ouvre une nouvelle piste thérapeutique pour des patients à l’état de conscience altéré », s’enthousiasme le professeur Lionel Naccache, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM, hôpital de la Pitié-Salpêtrière) à Paris, qui n’a pas participé à l’étude.

Ce résultat ne manquera pas de raviver un âpre débat médical, scientifique, philosophique et éthique. Quel pronostic livrer, chez un patient qui présente un trouble grave de la conscience ? Avec quelle fiabilité ? Quelle prise en charge lui offrir ? Pour quelle qualité de vie, et dans quel espoir ?

Plasticité cérébrale

« Un vieux dogme voudrait qu’il n’existe aucune chance d’amélioration chez les patients sévèrement cérébrolésés depuis plus d’un an. Mais ce dogme est faux, comme le confirme cette étude. La plasticité cérébrale, cette capacité de remodelage et d’adaptation de notre cerveau, est parfois étonnante », explique le professeur Steven Laureys, à la tête du GIGA-Consciousness de Liège (Belgique), un des leaders du domaine – il n’a pas non plus participé à l’étude. « C’est un traitement chirurgical très prometteur », estime-t-il, regrettant toutefois la concision de la description clinique du patient.

Ils seraient mille cinq cents en France, jeunes ou moins jeunes, à être plongés dans un état d’éveil non répondant ou dans un état de conscience minimale. Ce, à la suite d’un traumatisme crânien, d’un infarctus, d’un AVC… Ces patients alternent des phases d’éveil (ouvrant alors spontanément les yeux) et de sommeil. Dans l’éveil non répondant, la conscience semble totalement absente. Les seuls mouvements observés sont réflexes. Dans l’état de conscience minimale, il suit des yeux un miroir, sourit ou pleure dans des situations appropriées, répond parfois à des commandes simples, mais sans possibilités de communication. Pour autant, « la distinction entre ces deux états reste difficile », reconnaît Steven Laureys.

Avant et après la stimulation du nerf vague. A droite, en jaune orangé, l’augmentation de l’activité cérébrale dans la région pariétale.Current Biology / Current Biology

Revenons à ce patient décrit dans l’article de Current Biology, signé par Martina Corazzol en première auteure. A l’âge de 20 ans, il a été victime d’un accident de la route qui a créé de graves lésions cérébrales. Suivi dans le service du professeur Jacques Luauté, mais vivant au domicile de sa mère, il était considéré, depuis quinze ans, comme étant dans un état d’éveil non répondant. « Nous avons voulu explorer les effets de la stimulation du nerf vague chez ce patient : nous avons discuté avec sa famille et obtenu l’accord de celle-ci, ainsi que celui du comité d’éthique », explique Angela Sirigu, coauteure et contributrice du supplément « Science & médecine » du Monde.

Mais pourquoi le nerf vague ? Il innerve un territoire très étendu, qui comprend les poumons, le cœur, l’intestin… Mais, surtout, ses terminaisons pénètrent dans le tronc cérébral, à la base du cerveau, pour y stimuler la « formation réticulée ». Or, cette structure est un élément critique de la conscience : c’est un système d’allumage et d’éveil. « Pour que nous soyons conscients, il faut deux conditions : la première est ce système d’allumage du cortex, précise Lionel Naccache. La seconde est la présence d’un réseau de neurones fonctionnel, qui se caractérise par des communications à longue distance dans le cerveau. »

La stimulation du nerf vague est une technique éprouvée : dans le monde, « plus de 60 000 patients en ont bénéficié pour traiter une épilepsie ou une dépression », écrivent les auteurs d’un article paru, en 2013, dans Neurological Research. Cette équipe new-yorkaise, dirigée par Uzma Samadani, mène une étude prospective, randomisée, sur les effets de cette technique chez des patients à l’état de conscience altéré. Mais ses résultats ne sont pas connus.

Double amélioration

En parallèle, les équipes lyonnaises avaient démarré un projet analogue. Elles ont implanté une électrode dans le cou de ce patient, à proximité de l’artère carotide gauche, pour stimuler le nerf vague gauche. Celle-ci a été reliée, sous la peau, à un générateur d’impulsions électriques implanté sous la clavicule. Jour et nuit, une stimulation de 30 hertz a été appliquée, par cycles de trente secondes, suivies de cinq minutes d’arrêt. Les auteurs ont progressivement augmenté l’intensité.

Résultat : pas d’effets immédiats. Mais, après un mois de cette stimulation, une double amélioration était observée. Le patient suivait des yeux un objet et il se conformait à des ordres simples, ce qu’il ne faisait pas auparavant. « Par exemple, lorsque nous lui demandions de tourner la tête vers la droite, il le faisait très lentement », témoigne Angela Sirigu. Il réagissait aussi à une forme de « menace » : il écarquillait les yeux quand une personne approchait son visage très près du sien. Sa mère rapportait qu’il restait davantage éveillé quand un thérapeute lui lisait un livre. « Nous avons vu une larme couler sur sa joue quand il écoutait une musique qu’il aimait », ajoute Angela Sirigu, à propos des réactions sur le plan émotionnel.

Questions éthiques

Par ailleurs, l’enregistrement de l’activité du cerveau a révélé des changements importants. L’électroencéphalographie a retrouvé chez ce patient une « signature » spécifique d’un état de conscience minimale, précédemment découverte dans les groupes de Stanislas Dehaene et Lionel Naccache. Et le PET scan a révélé une augmentation de l’activité métabolique du cerveau, dans des régions du cortex comme dans des régions plus profondes.

La stimulation du nerf vague pourra-t-elle améliorer de façon durable la plasticité cérébrale, même après l’arrêt de la stimulation ? Qui seront les patients qui pourront en bénéficier ? « Tous ne pourront pas y répondre », estime Steven Laureys. Impossible à ce stade d’extrapoler. « Nous voyons chaque semaine des patients et leurs familles : chaque trajectoire est unique », relève Lionel Naccache.

Au-delà, la découverte conduit à s’interroger sur la notion « d’amélioration » d’un état de conscience, dès lors qu’elle permet à un patient de prendre conscience de la gravité de son état. « C’est une vraie question, admet Angela Sirigu. Pour moi, le principal enjeu est de poursuivre l’amélioration, au-delà d’un état de conscience minimale, chez certains patients. »

La technique pourrait-elle aussi redonner à certains patients un pouvoir décisionnel ? Pourrait-elle leur permettre de dire, à leurs proches et aux médecins, s’ils veulent – ou non – une poursuite de leurs soins ? Vertigineuse question, qui renvoie bien sûr à l’affaire Vincent Lambert.

« Ce drame souligne d’abord l’importance, pour chacun de nous, d’identifier une personne de confiance ou d’établir ses directives anticipées », dit Steven Laureys. Ce document écrit, daté et signé, permet de spécifier les soins médicaux que l’on voudrait – ou pas – recevoir, au cas où l’on serait devenu inconscient ou incapable d’exprimer sa volonté. « Nous sommes tous des Vincent Lambert potentiels. »

D’autres pistes de stimulation cérébrale

Au GIGA Consciousness de Liège, l’équipe de Steven Laureys explore d’autres voies chez des patients à l’état de conscience altérée. Il étudie ainsi la stimulation électrique transcrânienne, une approche non invasive. Mais aussi la stimulation cérébrale profonde. En 2007 déjà, une étude de cas, publiée dans Nature par l’équipe new-yorkaise de Nicolas Schiff, avait montré qu’une stimulation cérébrale profonde, à l’aide d’électrodes enfoncées dans le thalamus, améliorait la santé d’un patient en état de conscience minimale. Mais la méthode reste très invasive.