Un défilé printemps-été 2013. / MARTIN BUREAU / AFP

La salle d’attente du Centre médical de la Bourse (CMB) est vide en ce milieu d’après-midi du lundi 25 septembre. A la veille du coup d’envoi de la Paris Fashion Week, le centre agréé par la médecine du travail de la rue Notre-Dame-des-Victoires, à Paris, devrait pourtant recevoir une partie des huit cents mannequins qui devaient commencer à défiler, à compter du mardi 26 septembre, sur les podiums parisiens pour présenter les modèles du printemps-été 2018.

« Depuis l’arrêté du 4 mai 2017, la médecine du travail doit évaluer l’état de santé d’un mannequin en prenant en compte son indice de masse corporelle », explique Alexandru Popa, médecin du CMB. Tous les top models, y compris les stars que sont l’ex-danseuse américaine Karlie Kloss ou la Californienne Gigi Hadid, doivent présenter un certificat médical français, datant de moins de deux ans, pour pouvoir travailler dans l’Hexagone.

Cette disposition est censée mettre fin à l’éloge de l’extrême maigreur dans le milieu de la mode et lutter contre l’anorexie chez les jeunes filles. Mais, pour l’heure, le CMB, seul centre agréé à Paris pour mener les « visites d’informations et de prévention » de ces salariés et à délivrer ces certificats médicaux, n’est pas pris d’assaut. « Le système est en train de monter en charge », assure Eric Brossard, le directeur administratif et financier. A l’en croire, « une dizaine de mannequins se sont présentés lundi 25 septembre ».

Un certificat médical établi à l’étranger pourra être accepté

Les mannequins de la Paris Fashion Week sont-ils en mesure de présenter ce certificat exigé par la France ? Certains dénoncent déjà le caractère inapplicable de cette législation. « Mettons qu’un mannequin atterrisse à Paris, un dimanche, pour défiler, le lendemain, pour la première fois, pour trois marques. Comment fait-elle pour décrocher son certificat médical français ? », observe le booker d’une agence de mannequins.

Face à ces protestations, la réglementation va être amendée. Les professionnels du mannequinat et leurs clients ont obtenu, le 21 septembre, un avenant à l’accord de branche pour modifier la convention collective des mannequins. Au prétexte « d’éviter l’engorgement des médecins du travail pendant, notamment, les périodes de défilés », les top models de nationalité étrangère pourront désormais présenter un certificat médical établi à l’étranger. Toute la profession attend désormais la publication d’un arrêté au Journal officiel en ce sens.

La durée de validité de ce certificat pourrait aussi être modifiée, dans le sillage de la charte dévoilée par LVMH et Kering, le 6 septembre. Les deux groupes de luxe ont indiqué « ne travailler qu’avec des mannequins en possession d’un certificat médical attestant de leur bonne santé et de leur capacité à travailler, obtenu dans les six mois précédant une séance photo ou le défilé ».

« Epaisses comme un bâton de sucette ! »

Cette règle bouscule la donne, selon la Fédération française des agences de mannequins (FFAM). Un mannequin pourrait être « parfaitement en règle avec la loi [deux ans de validité du certificat], mais ne pas pouvoir travailler » précisément avec les marques de Kering et LVMH, faute d’avoir obtenu un certificat médical dans les six derniers mois, souligne le secrétaire général de la FFAM, Eric Perceval.

Acheteurs, chroniqueurs et photographes vont tous s’échiner à identifier les mannequins auxquels Balenciaga, Saint Laurent, Dior et Louis Vuitton, les marques phares des groupes Kering et LVMH, ont fait appel cette saison. Car les deux groupes, en plus d’exiger un certificat médical plus récent que celui voulu par la législation, s’interdisent aussi d’employer des top models âgés de moins de 16 ans et celles qui s’habillent d’une taille 32 ou moins. Tous les professionnels de la mode se félicitent de l’adoption de ce que Kering appelle de « nouveaux standards ». Mais ce sont précisément les directeurs artistiques des marques qui exigent « des filles épaisses comme un bâton de sucette ! », rappelle M. Perceval.

Parmi les créateurs les plus connus pour choisir des femmes grandes et maigres, figurent Raf Simons, ancien directeur artistique de Dior, aujourd’hui à la tête des collections de Calvin Klein, et Hedi Slimane, inventeur du skinny chez Saint Laurent, qui, en avril 2016, a été remplacé par le Belge Anthony Vaccarello, à la tête des collections de la filiale de Kering. « Avec cette charte, François-Henri Pinault, PDG de Kering, et Bernard Arnault, PDG de LVMH, se dotent d’un moyen de canaliser les directeurs artistiques de leurs marques et de leurs équipes », juge un ancien dirigeant de LVMH. L’objectif est surtout d’éviter leurs « dérapages », ajoute un photographe. Parce que « au fond », s’interroge ce dernier, « est-il normal de demander qu’une femme de 1,80 m s’habille en taille 34, soit l’équivalent d’une taille 14 ans » ?