La manifestation quinquennale s’est tenue à Kassel jusqu’au 17 septembre. / STEFAN BONESS/IPON/SIPA

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Telle est l’amère conclusion de la Documenta de Kassel, qui a fermé ses portes le 17 septembre sur un déficit de 7 millions d’euros, comme vient de le révéler le quotidien Hessische Niedersächsische Allgemeine.

Cette manifestation quinquennale d’art contemporain est pourtant la mieux dotée au monde. Son budget de 37 millions d’euros est trois fois supérieur à celui de la Biennale de Venise. Avec plus de 850 000 visiteurs au compteur, elle peut se targuer d’une belle fréquentation. Comment expliquer alors ce trou, le plus vertigineux depuis l’édition de 1972 ? Par le choix de son curateur, Adam Szymczyk, ancien directeur de la Kunsthalle Basel en Suisse, de dédoubler l’événement à Athènes d’avril à juillet.

« Ironiquement, en défendant une liberté sans compromis, Adam Szymczyk a probablement hypothéqué celle de ses successeurs. » Elke Buhr, de la revue « Monopol »

La Documenta s’était déjà décentralisée au cours de son histoire. La cuvée 2007 avait lancé une plateforme de débats itinérante dans cinq villes. En 2012, l’événement s’était implanté à Kaboul, en Afghanistan. Mais à Athènes, l’échelle était tout autre. « À chaque artiste invité, on a proposé de produire des œuvres pour les deux sites, en Allemagne et en Grèce, et beaucoup l’ont fait, rappelle Elke Buhr, rédactrice en chef de la revue allemande Monopol. L’exposition à Athènes était gratuite. Certaines institutions grecques ont vu l’arrivée de la Documenta comme une opportunité d’obtenir des Allemands des finances dont elles ont cruellement besoin. Par exemple, la Documenta a beaucoup investi pour remettre aux normes le Musée national d’art contemporain d’Athènes. » Les factures en électricité ont vite grimpé en raison de la climatisation des différents sites. Le coût du transport des œuvres d’art jusqu’en Grèce a également pesé dans la balance.

Une initiative pas si bien perçue

Sur le papier, l’idée d’une greffe à Athènes était louable, comme l’était l’ambition de collaborer avec des institutions helléniques moribondes. Pour autant, la Documenta n’a pas été accueillie à bras ouverts, loin s’en faut. Certains commentateurs grecs ont réduit l’opération à une tentative d’hégémonie libérale et à un tourisme de crise. De nombreux militants et acteurs culturels locaux se sont aussi sentis écartés. En riposte, la Biennale d’Athènes, qui se tenait en même temps avec un budget bien moindre, s’est intitulée « En attendant les Barbares ».

Après la polémique soulevée par le déficit, Adam Szymczyk et son équipe de curateurs ont publié le 14 septembre un communiqué indiquant que les bailleurs de fonds avaient validé toutes les étapes du projet, notamment la greffe athénienne, sans avoir augmenté le budget comme ils l’auraient dû. Pour combler le trou de la Documenta, le land de Hesse et la Ville de Kassel se sont portés garants pour un prêt de 3,5 millions d’euros. Une paille au regard des 100 millions d’euros de retombées économiques que rapporte en moyenne cette manifestation.

Le déficit ne va sans doute pas compromettre l’avenir de la Documenta. Mais il risque d’en limiter les marges de manœuvre. « Cela donnera aux politiciens locaux l’occasion d’y mettre leur grain de sel, regrette Elke Buhr. La Documenta est importante parce qu’elle jouit d’une liberté que les édiles ont toujours respectée. Ironiquement, en défendant une liberté sans compromis, notamment la liberté de créer une exposition à Athènes, Adam Szymczyk a probablement hypothéqué celle de ses successeurs… » Autre ironie de l’Histoire : si la Documenta a perdu des plumes en terres helléniques, l’Allemagne a engrangé un profit d’1,34 milliard d’euros sur les prêts accordés à la Grèce…