Parfait exemple de ce ­que fut la richesse d’une ­certaine production de genre hollywoodien au cours des années 1970 et 1980, ­L’Emprise des ténèbres, que Wes Craven réalisa en 1987, ressort en coffret DVD et Blu-ray luxueux chez Wild Side. Le film est à la fois une proposition originale dans la catégorie d’un cinéma de la terreur alors prolifique autant qu’une étape décisive dans la carrière d’un réalisateur, auteur d’une œuvre toute personnelle.

« D’après des faits réels », déclare, de façon étonnante, un carton au début du générique. Il peut paraître surprenant, en effet, de découvrir qu’il y a, à l’origine du film, l’ouvrage, paru deux ans plus tôt, d’un ethnobotaniste canadien, Wade Davis, racontant la découverte d’un poison, la tétrodotoxine, utilisé à Haïti et pouvant plonger ceux qui l’ingèrent dans un état cataleptique proche de la mort. L’étude de ce venin allait servir aux progrès de la médecine en matière d’anesthésie.

L'EMPRISE DES TÉNÈBRES - extrait "La mariée" (HD restauré)
Durée : 01:56

Le mystère de la tradition vaudou du zombie étant ainsi percé (encore que la théorie de Davis fut très controversée), le film de Wes ­Craven transformait un motif déjà traité au cinéma de façon romantique (White Zombie, de ­Victor Halperin, en 1932, et surtout le magnifique I Walked With a Zombie, de Jacques Tourneur, en 1942, par exemple) en tout autre chose. Certes, l’ambiguïté entre réel et surnaturel, entre science et superstition, continuera de planer jusqu’au bout sur le film.

Prise de conscience

Une des séquences les plus réussies et paradoxalement une des plus inquiétantes est un dîner mondain au cours duquel le héros, de retour à Boston, est menacé par la femme de son commanditaire, un industriel phar­ma­ceutique, soudain en état de transe meurtrière, comme si tout un monde originaire refaisait surface au cœur de la civilisation la plus policée.

Ici, pourtant, le mythe du mort-vivant (bien loin de l’absurdité chaotique qu’il représente dans le cinéma d’un George Romero, auteur de La Nuit des morts-vivants et de ses suites) devient le carburant privilégié d’une allégorie politique. Les mésaventures de l’anthropologue incarné par Bill Pullman, savant et naïf idéaliste américain à la recherche du mystère des zombies et plongé dans le climat de terreur instauré par le règne de Duvalier fils, se transforment en parcours d’une prise de conscience.

L’assujettissement par la magie vaudoue devient le symbole d’une oppression sociale et politique

L’assujettissement par la magie vaudoue devient ainsi le symbole d’une oppression sociale et politique, représentée de façon exemplaire par le chef des tontons Macoutes, la police secrète du régime, qui est aussi un sorcier vaudou (incarné par l’inquiétant Zakes Mokae) pra­tiquant la magie noire et acharné à posséder l’âme de ses sujets. Le film peut donc aussi être vu comme une description, imagée et poétique, de la chute du régime de Duvalier en 1985.

Comme toujours dans le cinéma de l’inventeur de la figure de Freddy Krueger, les moments de réalité sont entrecoupés de séquences cauchemardesques, où l’hallucination paraît plus réelle que le réel et semble indémêlable de celui-ci. L’Emprise des ténèbres est sans doute une des œuvres les plus riches de son auteur en matière d’horreur graphique, même si l’on sait que bon nombre de séquences spectaculaires lui furent imposées par des producteurs décidés à fournir son quota d’images horrifiques au spectateur.

L’angoisse d’être enterré vivant, évoquant la littérature d’un Ed­gar Allan Poe, côtoie d’autres atroces phobies. Tout un bestiaire effrayant, composé de léopards, d’araignées, de vers et de serpents, hante les rêves de l’homme blanc. Le Sud est un cauchemar du Nord.

THE SERPENT AND THE RAINBOW (Wes Craven) - Bande-annonce
Durée : 01:29

L’Emprise des ténèbres, film américain de Wes Craven (1987). Coffret DVD-Blu-ray (Wild Side). Sur le Web : www.wildside.fr/horreur--fantastique/lemprise-des-tenebres-2532.html