Sourire éclatant, béret vissé sur le crâne, Al Jarreau, chanteur exceptionnel, est parti, ciao, le 12 février 2017 (voir Le Monde). Mains papillon, pourvu d’une tessiture exceptionnelle, fréquente chez les chanteurs afro américains, grimpant allègrement du baryton grave au soprano léger, Al Jarreau jouait de sa voix comme ses pairs d’un instrument. Passe encore. C’est ça qu’on aimait. Plus l’incroyable swing de la voix et du geste.

Le plus surprenant, c’était son agilité en scène, comme une grâce et l’adoubement des cieux. Aurait-on oublié sa présence et son être – compositeur ou réinventeur – des pièces qu’il interprétait ? Le quartet de Dominique Fillon se charge de les prendre en compte. Pas simple.

Ça sent le groupe d’étudiants et la joie d’entreprendre

Dominique Fillon au piano, Antoine Reininger à la basse, un Francis Arnaud aussi solide que délicat aux drums et Yannick Soccal, soprano sax : ça sent le groupe d’étudiants et la joie d’entreprendre. Ils ont une aimable quarantaine. Fillon, un album au titre éloquent, Born in 68. Le plus surprenant, c’est qu’ils viennent de la haute école des variétés (Dominique Fillon a joué pour Bernard Lavilliers ou Michel Fugain), et qu’ils aiment jouer au naturel, en club, droit devant.

Ce qui oblige les amateurs de « jazz » à revoir quelques fondamentaux. Pourquoi se produire, avec un tel entrain et tant de précision, au service d’un répertoire d’un chanteur immense, sans doute, Al Jarreau, là, en club, selon les règles aussi simples qu’impitoyables de la situation ? On n’en sait rien. Dominique Fillon a du succès au Japon. Ce qui reste un indicateur de première bourre, quand on connaît les bacs des cinq étages de Maruzen à Kyoto, ou les modes d’écoute dans les bars et les clubs de la ville.

Dave Brubeck

Toujours est-il qu’ils reprennent en quartet des thèmes de Philippe Saisse – encore un illustre inconnu de cette planète « jazz » aux contours mystérieux. Dans la foulée, Funky Shuffle, Alonzo en style de valse, plus un titre sur lequel le pianiste trébuche en manière de lapsus marrant (politic pour poétique), et tous les chevaux de bataille dont Al Jarreau faisait son bleu du ciel : Take Five (de Dave Brubeck ) sans trop se formaliser sur le temps (5/4), ou Blue Rondo a la Turk, sans laisser, mais pourquoi diable ? au soprano, l’élan qu’y mettait Paul Desmond…

Reste une soirée en club plus qu’agréable, avec un pianiste doué (Dominique Fillon), une rythmique de charme et une voix éclairée (Yannick Soccal). Ce qui n’est pas rien. Ah oui ! Dominique Fillon se trouve être le frère de François du même nom, comme Mowgli Jospin, le trombone du jeudi soir au Riverbob, naguère, se trouvait être le frère de Lionel Jospin. Mais enfin, on n’ira pas chercher dans le « groove » d’Al Jarreau, les collatéraux de tous nos politiques ? Not Like This ou Blue and Green au rappel, dispenseront de toute discussion.