Bruno Le Maire a estimé, dans une conférence de presse, que « L’Etat n’a pas vocation à être assis sur un strapontin dans les conseils d’administration (...) sans pouvoir intervenir ». / Kamil Zihnioglu / AP

Au lendemain de l’annonce de la fusion des activités ferroviaires des groupes français Alstom et allemand Siemens, l’heure était, mercredi, à l’auto-congratulation au sein des deux entreprises. Le directeur général d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, a déclaré que l’accord signé était la « principale priorité » de l’entreprise française. Les directions des deux groupes ont, parallèlement, salué la création d’un « champion européen de la mobilité ».

De son côté, le ministère français de l’économie (l’Etat est actuellement présent au capital d’Alstom) s’est « réjoui de l’intérêt de cette opération, tant du point de vue industriel qu’en termes de préservation de l’emploi », et a évoqué un futur « champion mondial franco-allemand de la construction et de la signalisation ferroviaires ».

En Bourse, ce rapprochement a également été « salué » : avant la mi-journée, le titre d’Alstom était en hausse de 5,95 % à 35,64 euros à la Bourse de Paris, après s’être envolé de plus de 8 % à l’ouverture, tandis qu’à la Bourse de Francfort, le titre Siemens était en progression au même moment de 1,93 %, à 118,80 euros.

Pour autant, certaines voix se sont élevées, à gauche comme à droite, pour dénoncer la « vente » d’un fleuron industriel français à une entreprise étrangère. « C’est l’Allemagne qui rachète la France et Monsieur Macron nous brade », a réagi Laurent Wauquiez, vice-président des Républicains (LR).

Evoquant une fusion « totalement déséquilibrée », le président de la commission des finances de l’Assemblée, Eric Woerth (LR) a invité le ministre de l’économie Bruno Le Maire et son secrétaire d’Etat, Benjamin Griveaux à s’expliquer. « L’Etat laisse passer le TGV sous pavillon allemand. Il aurait pu envisager d’autres solutions, financières ou industrielles, notamment auprès de Bpifrance », a déclaré M. Woerth.

Les élus Front de gauche d’Ile-de-France Mobilité – l’entité chargée des transports dans la région – estiment qu’« un tel scénario n’a rien de l’Airbus du ferroviaire vanté dans la presse, puisqu’il ne repose sur aucun contrôle public ».

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  • Que prévoit l’accord entre Alstom et Siemens ?

Les deux entreprises ont annoncé un projet de fusion « entre égaux » de leurs activités ferroviaires dans le but de contrer le géant chinois CRRC. Si cette notion est fréquemment avancée dans les fusions, elle n’existe pas en droit et ne répond pas à des règles juridiques.

Cette alliance va donner naissance à « Siemens Alstom », numéro deux mondial en volume de production pour le matériel ferroviaire roulant et numéro un pour la signalisation.

L’accord prévoit que Siemens devienne l’actionnaire principal, avec 50 % des parts à la suite d’une augmentation de capital réservée, qui va diluer d’autant les actuels actionnaires d’Alstom. Le groupe allemand pourra ensuite monter au-delà de 50 % du capital, et donc absorber Alstom, au bout de quatre ans.

Bruno Le Maire, a confirmé mercredi 27 septembre que l’Etat français n’entrerait pas au capital de la future entreprise. Le conseil d’administration, composé de onze membres, sera dominé par Siemens, qui en nommera six, dont le président.

Alstom a obtenu que son actuel directeur général prenne la direction opérationelle de la nouvelle entreprise. Le nouveau groupe sera coté à la Bourse de Paris et son siège sera basé en région parisienne, selon un communiqué commun d’Alstom et Siemens publié mardi soir.

  • Pourquoi l’Etat français n’entre-t-il pas au capital de la nouvelle entreprise ?

M. Le Maire a justifié cette absence, mercredi, en expliquant que l’Etat n’avait « pas vocation à être assis sur un strapontin dans les conseils d’administration (...) sans pouvoir intervenir ».

A l’heure actuelle, l’Etat français détient certes 20 % d’Alstom, mais il n’est pas réellement propriétaire de ces actions.

Pour comprendre, il faut remonter à 2004 : l’entreprise est au bord de la faillite, et le gouvernement français élabore des plans de sauvetage. La Commission européenne y met des conditions : l’Etat doit sortir du capital d’Alstom en cédant la part de 21,03 % qu’il avait conservée depuis les nationalisations des années 1980.

C’est le groupe Bouygues qui rachète cette part de capital en 2006, et devient l’actionnaire principal de l’entreprise industrielle.

En 2014, face aux difficultés d’Alstom, qui risque d’être racheté par l’américain General Electric (GE) et Siemens – déjà –, l’Etat souhaite reprendre une participation dans le capital de l’entreprise. Mais il est hors de question pour lui de racheter les actions à Bouygues, qui refuse de les vendre au-dessous de 35 euros l’unité, alors que l’action Alstom est cotée à moins de 25 euros à l’époque.

Le groupe Bouygues accepte alors de prêter 20 % d’actions à l’Etat, qui récupère ainsi des droits de vote et deux sièges au conseil d’administration d’Alstom, quand Bouygues conserve le bénéfice des éventuels dividendes versés par l’entreprise.

Cet accord, conclu il y a trois ans, prévoit que l’Etat dispose d’une option d’achat à 35 euros l’action (valeur de l’action Alstom mercredi 27 septembre au matin) qui court jusqu’en… octobre 2017.

Bercy a confirmé, mardi, « mettre fin au prêt de titres (…) » et ne pas exercer les « options d’achat », qui reviendraient, pour l’Etat, à débourser 3 milliards d’euros.

  • Que va-t-il se passer en matière d’emploi et d’usines ?

Pendant les quatre ans suivant la réalisation de l’opération, les sites et les emplois seront préservés, selon les deux entrerprises.

L’accord concerne les 8 500 employés d’Alstom et les 500 de Siemens en France, ainsi que pour l’Allemagne (12 000 salariés côté Siemens, 3 000 pour Alstom). Cette garantie de maintien de l’emploi ne sera valable dans aucun des autres pays où sont implantés les deux groupes.

Plusieurs syndicats d’Alstom ont exprimé mercredi leurs « craintes pour l’emploi » à moyen terme. Les deux groupes « veulent nous rassurer en parlant de complémentarité géographique » mais « les craintes pour l’emploi demeurent » car Alstom est « en choc frontal avec Siemens sur toutes ses activités » (grande vitesse, trains régionaux, tramways et métros, signalisation), ont expliqué à l’Agence France-Presse (AFP) avec des mots quasi-identiques les représentants CFE-CGC, CFDT et FO.

« Les garanties, c’est vite changé », relève Daniel Dreger, de la CGT – deuxième syndicat chez Alstom –, interrogé par l’AFP.

  • Que reste-t-il d’Alstom ?

L’entreprise d’électromécanique, née en 1928, a connu de nombreuses fusions et rachats en près d’un siècle, et ce n’est pas la première fois que l’Etat sort de son capital, dans lequel il n’était d’ailleurs pas initialement. En effet, ce n’est qu’en 1982 que l’Etat entre au capital, à l’occasion des nationalisations.

Alsthom (initialement avec un « h »), qui avait déjà changé de propriétaire plusieurs fois, fusionne pour la première fois avec une entreprise étrangère en 1989 : une filiale du groupe britannique General Electric Company (GEC).

Au début des années 2000, Alstom, qui a perdu son « h » à son entrée en Bourse en 1998, se recentre sur deux activités principales : le transport et la production d’énergie. Entre-temps, ses deux maisons mères, Alcatel et GEC ont cédé leurs parts dans le capital.

Une dizaine d’années plus tard, en 2014, l’entreprise connaît un nouveau changement. Elle est scindée en deux et sa branche énergie est reprise par l’américain GE. Depuis, l’industriel français restait un groupe indépendant, recentré sur le matériel ferroviaire, avec l’Etat français comme actionnaire de référence à 20 %.