L’idée n’est encore qu’à l’état de brouillon : selon l’Agence France-Presse (AFP), le gouvernement aurait l’intention d’allonger à quatre-vingt-dix jours, contre quarante-cinq aujourd’hui, la durée maximum de la rétention administrative, cette mesure qui permet de retenir contre son gré un étranger faisant l’objet d’une décision d’éloignement dans l’attente de sa reconduite à la frontière.

Des sources gouvernementales ont très vite réagi en assurant que le texte cité n’était pas « finalisé », mais pour plusieurs associations, cette fuite permet au ministère de l’intérieur de tester les résistances sur le sujet.

Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile, association qui propose aide juridique et sociale dans quatre centres de rétention administrative (CRA), revient sur les choix du gouvernement.

Aujourd’hui quelle est la durée moyenne de rétention dans un centre de rétention administrative ?

La loi autorise une rétention administrative (donc une privation de liberté) de maximum quarante-cinq jours. Dans les faits, cela va rarement jusque-là : les étrangers sont expulsés après douze jours de rétention en moyenne (en France métropolitaine, en 2016). Pour nous, ce projet est donc uniquement de l’affichage. La sortie de cette première version [du projet de loi sur l’immigration que l’AFP a consulté] est une mesure symbolique, qui ne peut que provoquer la mobilisation et l’indignation des associations.

C’est d’ailleurs l’objectif recherché par les auteurs du texte. Je m’explique : aujourd’hui, beaucoup de citoyens pensent que le gouvernement est « laxiste » en matière d’immigration, donc pour montrer qu’il ne l’est pas, il propose une mesure d’affichage comme celle-ci, qui sur le terrain sera tout à fait inutile.

Pourquoi le gouvernement veut-il allonger cette durée maximale, contre l’avis des associations ?

Sachant que la grande majorité des étrangers sont expulsés dans les quinze premiers jours de leur rétention, l’allongement de cette durée maximale sera inefficace. Le nombre de retenus restant après une dizaine de jours est totalement marginal, il s’agit souvent de cas où leurs Etats d’origine ne livrent pas d’autorisation consulaire.

Toutes les associations qui travaillent dans ces CRA ont démontré depuis longtemps que la rétention au-delà de trente jours était parfaitement inutile. Dès lors, à quoi bon augmenter le temps de la privation de liberté ?

Encore une fois, il s’agit d’un effet d’affichage de la part du gouvernement plus que d’une recherche d’efficacité. Ce n’est pas avec ce genre de mesures que les résultats en matière d’éloignement s’amélioreront.

Mais la France a bien une des durées légales de rétention les plus faibles d’Europe ?

C’est en effet l’argument qui va être avancé par le gouvernement : la durée maximale de rétention proposée dans les autres pays européens est plus élevée [à titre de comparaison elle est de cent quatre-vingts jours en Allemagne]. Mais quand on est Européens, on n’est pas obligés de s’aligner sur les mauvaises pratiques de l’Union.

Je pense de doute façon que le projet de loi n’aboutira pas à une durée maximum de quatre-vingt-dix jours, l’objectif du gouvernement c’est plutôt, in fine, de passer à soixante jours ; le débat tournera ensuite autour des reconduites à la frontière.

Est-ce qu’une augmentation de cette durée légale aurait une conséquence sur les conditions de vie dans les CRA ?

Une telle mesure, bien sûr, va augmenter le taux d’occupation des centres, même s’il restera l’intervention des juges de liberté et de la détention, qui décident ou non de prolonger la rétention administrative de chaque étranger en attente d’expulsion.

Il ne faut pas oublier que cela reste un lieu de privation de liberté, mais en règle générale les lieux sont corrects si on n’y reste pas très longtemps. Les locaux sont cependant souvent exigus et les espaces de promenade tout autant. On n’en est pas à l’état des prisons françaises bien sûr, avec une suroccupation et des locaux dégradés.