Un robot signe le certificat de naissance de la « première chaire Arts et Sciences en Europe », mercredi 27 septembre, dans la salle des actes de l’Institut Pasteur, à Paris. / MATHIEU FALUOMI/CHAIRE ARTS & SCIENCES/ENSAD

Dans la très sérieuse salle des actes de l’Institut Pasteur, mercredi 27 septembre, on s’apprête à parapher le certificat de naissance de la « première chaire Arts et Sciences en Europe ». De gauche à droite : Jean-Bernard Lartigue, le délégué général de la fondation de l’école Polytechnique, Edouard Husson, vice-président de Paris Sciences & lettres (PSL), Marc Partouche, directeur de l’Ecole nationale des Arts décoratifs (Ensad), Jacques Biot, président de Polytechnique, et Marina Nahmias, présidente de la fondation Daniel et Nina Carasso. Tout se passerait dans les règles si, derrière le carton « Jacques Biot », n’était assis, bien droit, un robot. C’est lui qui va signer la convention, en lieu et place du patron de l’X, et lui qui tient la vedette de la cérémonie.

« Une mise en scène à la fois artistique et politique, une représentation du non-humain », s’amuse Samuel Bianchini de l’EnsadLab, codétenteur de la chaire avec le polytechnicien Jean-Marc Chomaz. De fait, le robot n’est pas un humanoïde mais une sorte de bras, armé d’un stylo, à qui l’on a appris à reproduire à l’identique la signature de Jacques Biot. « C’est ce qu’on appelle un robot industriel collaboratif, explique Jérôme Laplace dont l’entreprise, Génération Robot, a œuvré à la réalisation du projet. Il a un seul défaut. Sa signature est toujours identique alors que celle d’un humain, écrite des milliers de fois, n’est jamais la même. » La perfection, un problème de robot.

Une « entité électromécanique »

Question : qu’elle est la valeur d’un tel contrat ? « Valide, rassure Valérie Masson Patrimonio, responsable des questions de propriété intellectuelle à Polytechnique, qui a sué sang et eau sur le versant juridique de l’opération. Un robot, si sophistiqué qu’il soit, reste une machine. L’idéal serait qu’il puisse scanner et identifier en temps réel le contenu de ce qu’il signe mais ce n’est pas le cas. Il est comme un enfant derrière lequel il faut des adultes avec une chaîne sophistiquée de responsabilités humaines, et de contrats qui, eux, s’apparentent au droit d’auteur. »

Si les concepteurs de la nouvelle chaire Arts et Sciences ont choisi d’en appeler ici à « une entité électromécanique » – le premier nom des cyborgs –, c’est que l’objectif du projet est justement là : « Amener à s’interroger, ouvrir un espace de réflexion et d’imagination, explique Jean-Marc Chomaz. L’art change notre perception du monde. L’action artistique permet un déplacement du langage scientifique. »

« L’action artistique permet un déplacement du langage scientifique »

Il y a longtemps que cet enseignant-chercheur de l’Ecole polytechnique qui a beaucoup travaillé sur le climat est confronté aux limites du discours scientifique : « Le dérèglement climatique est un sujet extraordinairement complexe sur lequel on est loin de tout comprendre. Alors que, dans le même temps, on sait que c’est maintenant qu’il faut prendre des décisions… Le scientifique a une intime conviction, un faisceau de faits concordants et de modélisations qui l’amène à penser que, oui, l’intensification des cyclones est liée au réchauffement. Mais la rigueur scientifique l’empêche d’être totalement affirmatif… » D’où le fait d’en appeler à l’art comme un moyen non pas de communiquer ou même de sensibiliser – deux termes que récuse Jean-Marc Chomaz – mais « d’engager le public » à s’approprier le sujet.

Intuition, sensibilité, goût des territoires inconnus, envie de transformer le monde… Artistes et scientifiques partagent ces qualités exploratrices que de multiples initiatives viennent aujourd’hui sanctifier, qu’il s’agisse du CNES ou de l’Ircam, de l’Atelier Art Science à Grenoble ou des équipes du CEA, du SymbioticA d’Oron Catts pour les biotechs à Perth en Australie, de Bridge, le cursus de l’université du Michigan, ou du programme Klas (Knowledge Link through Art and Science) au Max Planck institute en Allemagne.

Un monde à repenser, à inventer, à découvrir, à partager

« Notre époque est incertaine et inquiétante mais elle est aussi très riche et fertile », explique la mécène Marina Nahmias qui a réuni les Arts Déco et Polytechnique dans ce projet avec sa fondation Daniel et Nina Carasso. Logique : son père, Daniel Carasso, fondateur de Danone, était fasciné par la science, et sa mère était une fervente amoureuse des arts, raconte celle qui a donné pour mission à sa fondation de « composer les savoirs pour comprendre le monde contemporain ».

Dans ce monde en mouvement, l’expression « Nouveau paradigme » fait office de slogan, décliné à tout va et à toutes les sauces. Un monde à repenser, à inventer, à découvrir, à partager. « On a choisi un robot non humanoïde parce qu’ainsi on montre que même une robotique abstraite porte en soi une humanité », fait remarquer Samuel Bianchini. L’artiste chercheur – ou le chercheur artiste, on ne sait plus bien –, trace un triangle. À chaque extrémité, un mot : esthétique, société, techno sciences. « En intervenant sur l’un de ces trois angles, on va influencer les deux autres. » C.Q.F.D.