Le rappeur Rohff arrive au tribunal correctionnel de Paris, accompagné de son avocate Malika Ibaztene, pour son procès pour « violences aggravées », le 29 septembre 2017. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

C’était en avril 2014, et les novices du rap français ne connaissaient rien de la guerre à laquelle se livraient les deux mastodontes du milieu, Rohff et Booba, à coup de morceaux interposés et d’invectives sur les réseaux sociaux. Le 21 avril 2014, l’agression commise par Rohff et une demi-douzaine d’individus à l’encontre de vendeurs de la boutique de son ennemi juré Booba, avait mis au jour ces rivalités, et marqué l’apogée de clashes répétés.

Vendredi 29 septembre, on s’attendait au procès « du rap français », soldant une bataille d’ego vieille de près de dix ans. Si les faits de « violences aggravées » pour lesquels Rohff comparaissait ont pu être étayés par les caméras de vidéosurveillances installées dans la boutique, les raisons de cette expédition punitive ont échappé au tribunal correctionnel de Paris.

Dans son réquisitoire, le procureur a réclamé une peine de quatre ans de prison, dénonçant un « lynchage » sur fond de « haine » entre rappeurs, et retenant les faits de préméditation. Lorsqu’il est appelé à la barre, le rappeur Rohff, costume bleu pétrole et collier de barbe, assure pourtant être tombé au débotté sur « un groupe de fans qui traînaient à Chatelet », non loin de la boutique Ünkut, la marque de streetwear de son rival. Après avoir échangé quelques mots avec eux aux sujets de « ses derniers clashes avec Booba », Rohff prend la route du magasin, en compagnie « des gremlins », le surnom qu’il donne « aux jeunes qui zonent dans le quartier ».

Dans une version louvoyant, voire absconse, le rappeur explique d’abord s’être rendu « dans le temple du streetwear » pour honorer un rendez-vous avec un certain Romain avec qui il souhaite discuter « d’un partenariat vestimentaire ». Si ce dernier a bien confirmé qu’un rendez-vous avait bien été pris, il n’a pas confirmé la date du 21 avril, un lundi de Pâques férié.

A la barre, les contradictions du rappeur s’accumulent au gré des questions des juges. Rohff assure s’être rendu à la boutique pour « discuter avec Booba ». « Vous pensiez sérieusement tomber sur lui ? », questionne la magistrate circonspecte, précisant qu’à cette période ce dernier se trouvait aux Etats-Unis. Le rappeur rétorque alors qu’il souhaitait « demander à une connaissance commune son contact ». « Mais vous n’aviez pas d’agent pour le faire ? », relance la juge.

Des écueils auxquels s’ajoute une contradiction majeure portant sur l’aspect « spontané » de la visite de Rohff dans la boutique de Booba. « Ce qui m’a poussé à entrer, c’est l’improvisation, je n’ai rien préparé », répète-t-il inlassablement, assurant qu’il ne connaît pas « les galériens » qui l’accompagnaient l’après-midi de l’agression. Au regard des images captées par les trois caméras de vidéosurveillances, la présidente du tribunal souligne pourtant « le calme des individus » et « un comportement qui donne l’impression que les rôles sont établis ».

« Laissée pour morte »

Sur les vidéos de l’agression, une demi-douzaine d’hommes pénètre dans la boutique, nonchalamment, mains dans les poches, les uns après les autres. Le rappeur frappe d’un coup au visage l’un des vendeurs, marquant le début d’un déchaînement de violence, durant moins d’une minute. Un homme au physique râblé, portant un casque de moto, fait alors irruption dans la boutique et fonce sur l’un des vendeurs, à qui il assène plusieurs coups de poings. La victime est projetée au sol et rouée de coups de pieds, avant d’être « laissée quasiment pour morte ». Alors qu’un employé tente de lui venir en aide, l’un des agresseurs lui jette une caisse enregistreuse en plein visage. Les deux hommes, qui se sont constitués partie civile, ont écopé de trente jours d’ITT pour le premier et cinq jours pour le second.

Concernant le passage à tabac, Rohff assure « avoir vu rouge » en apprenant l’identité du vendeur, un homme « à l’origine de nombreuses provocations sur les réseaux sociaux depuis deux ans » – ce que l’intéressé a nié formellement, assurant que Rohff avait « confondu de personne ». A la barre, les deux victimes assurent avoir été frappées de façon aléatoire, parce qu’elles étaient « dans le champ de vision ».

« On n’a rien demandé, s’attaquer à nous, ça n’a aucun sens, c’est de l’acharnement, on a été un défouloir. C’est honteux. »

« Je me suis oublié, j’ai foncé sur lui, fou de rage », reconnaît le rappeur, qui « regrette » à plusieurs reprises « avoir cédé à la colère ». « Une rivalité haineuse », et « une véritable rancœur » que « ne s’explique pas » selon l’avocat des parties civiles, Jean-Yves Lienard, qui résume tout haut l’interrogation qui restera en suspend durant tout le procès. Dans une plaidoirie qui aurait pu être celle de la défense, où il semble saluer l’attitude de Rohff « qui assume seul la responsabilité de cette affaire, sans chercher à donner des noms », Me Lienard fera une « réclamation pécuniaire une fois que les préjudices seront consolidés », ne réclamant pas de peine de prison « qui ne changerait rien ».

De sa détention provisoire de plusieurs mois, suivi d’un contrôle judiciaire sous bracelet électronique, Rohff conserve le souvenir d’une période où il a pris conscience de « la gravité des faits », notamment « en regardant en boucle la vidéo où j’ai mal pour lui ». Après avoir « minoré les faits pendant sa garde à vue », Rohff répond « vouloir jouer cartes sur table » au procureur qui lui fait remarquer qu’il a changé de version à six reprises depuis 2014. Soulignant que son client « a fait le choix du respect des victimes et des excuses », Malika Ibaztene, l’avocate du rappeur, espère que « pour réparer il ne sera pas question de détention ». Déjà condamné à six reprises depuis 2004, Rohff se dit « prêt à prendre mes responsabilités ». Le délibéré sera rendu le 27 octobre.