Lundi 25 septembre, le Musée Guggenheim de New York annonçait qu’il retirait préventivement et à regret trois œuvres impliquant des animaux de son exposition « L’Art et la Chine après 1989 : Théâtre du monde », attendue pour le 6 octobre. Cette exposition d’envergure rassemblera quelque 150 œuvres (vidéos, installations, performance, peinture, photographie, archives…) de plus de 70 artistes issus de l’underground artistique chinois, datant aussi bien de la répression sanglante de Tiananmen que de l’ère post-2001, année où la Chine a ouvert ses portes à l’économie mondiale, devenant au passage une superpuissance au régime autoritaire.

Chiens de combats, cochons, insectes et reptiles

Les critiques des défenseurs de la cause animale ont d’abord visé une première œuvre, Dogs That Cannot Touch Each Other, du couple Peng Yu et Sun Yuan, artistes radicaux de 43 et 45 ans : une captation vidéo d’une performance réalisée en 2003 dans un musée de Pékin mettant face à face quatre paires de chiens de combats sans qu’ils puissent se toucher. Le 21 septembre, le Guggenheim publiait un premier communiqué sur son site pour défendre la présence de cette pièce dans l’exposition : « C’est une œuvre volontairement éprouvante et provocatrice qui cherche à examiner et critiquer les systèmes de pouvoir et de contrôle (…) Les commissaires de l’exposition espèrent que les visiteurs prendront en considération les raisons pour lesquelles les artistes l’ont créée et ce qu’ils cherchent à dire sur les conditions sociales de la mondialisation et la nature complexe du monde que nous partageons. »

Puis le scandale s’est étendu à une autre vidéo programmée : A Case Study of Transference, grotesque représentation des relations entre l’Occident et la Chine montrant un cochon et une truie en train de copuler en public, la peau tatouée d’un mélange de lettres de l’alphabet et de caractères chinois fantaisistes. Captation, là encore, d’une performance, réalisée à Pékin en 1994 par l’artiste Xu Bing, 62 ans, vétéran du mouvement de l’art conceptuel chinois installé à New York depuis vingt ans.

Théâtre du monde, de Huang Yong Ping, la troisième œuvre incriminée – qui a donné son nom-même à l’exposition – était la seule à mettre en scène des animaux vivants dans le musée, avec un vivarium rempli d’une centaine d’insectes et de reptiles – gekkos, sauterelles, criquets, mille-pattes et cafards, etc. « Au cours des trois mois de l’exposition, certaines créatures seront dévorées, d’autres mourront de fatigue. Les gros survivront. De temps en temps, une animalerie (…) réapprovisionera la ménagerie avec de nouvelles punaises », expliquait le 20 septembre le New York Times dans un article consacré à la future exposition. L’œuvre, créée en 1993, avait déjà été écartée d’une exposition à Vancouver, au Canada, en 2007, l’artiste refusant de céder à la demande d’un groupe de défense des animaux lui demandant de retirer les scorpions et les tarentules.

« Menaces de violence répétées »

Reflet du thème de l’exposition, « la Chine comme un univers fermé sur lui-même, en perpétuelle évolution et réorganisation, [cette pièce dérangeante] résume aussi le sentiment d’oppression vécu par les artistes entre 1989 et 2008, lorsqu’ils créaient ces œuvres », écrivait encore le New York Times. Huang Yong Ping, figure majeure de l’art d’avant-garde chinois des années 1980, avait lui-même quitté son pays pour la France en 1989, à l’occasion de sa participation à l’exposition historique « Les Magiciens de la terre » au Centre Pompidou.

Une pétition appelant à faire savoir au Guggenheim que « la cruauté envers les animaux n’a pas sa place aux Etats-Unis, ni ailleurs dans le monde », et que « cette maltraitance (…) au nom de l’art ne sera pas tolérée ou soutenue » qui a rassemblé plus de 635 000 signatures, ainsi qu’une marche organisée par des militants de la cause animale devant le musée au cours du week-end auront eu raison de la résistance de l’institution. Lundi dans la soirée, elle publiait un nouveau communiqué pour annoncer le retrait des trois œuvres, qui avaient déjà « été montrées dans des musées en Asie, en Europe et aux Etats-Unis ». « Le Guggenheim regrette que des menaces de violence explicites et répétées rendent cette décision nécessaire », précisait le musée, « consterné de devoir retirer des œuvres d’art » synonymes de « liberté d’expression ».