L’Afrique et l’Europe entretiennent des relations de longue date, notamment sur la base d’une série d’accords entre l’Union européenne (UE) et le groupe des 79 pays ACP (Afrique subsaharienne, Caraïbes, Pacifique). L’Accord de Cotonou, signé en 2000 pour vingt ans, a gardé la structure de ses prédécesseurs, lorsque l’Europe négociait avec ses anciennes colonies africaines. Il repose sur trois piliers : la coopération au développement, les relations commerciales et le dialogue politique.

Il y a urgence à se rendre compte que le contexte de la coopération a radicalement changé et que notre partenariat avec l’Afrique est dépassé. Plus important encore, nous devons prendre conscience de ce que les Africains attendent de nous.

Le monde est aujourd’hui multipolaire, l’Europe doit trouver sa place entre les mesures extraterritoriales agressives des Etats-Unis et l’apparition de stratégies globales d’expansion en provenance des pays émergents, avec en premier lieu la Route de la soie chinoise. Ces acteurs apportent de nouvelles visions de la coopération et rendent obsolète le prisme d’analyse de la coopération Nord-Sud.

Manque de dynamisme

Avec le Brexit, la politique européenne de coopération au développement, autrefois portée par le Royaume-Uni et la France, s’effrite au sein même de l’UE. Le principal outil de coopération, le Fonds européen de développement (FED), verra ainsi ses ressources amputées de 15 %. La plate-forme UE-ACP, créée à l’occasion des accords, est victime de lourdeurs administratives et de manque de dynamisme. La Commission européenne elle-même reconnaît que « la coopération entre l’UE et ses partenaires dans les enceintes multilatérales n’a pratiquement pas été utilisée » et que « le cadre institutionnel actuel présente d’importantes lacunes ».

Enfin, d’ici à 2050, la population de l’Afrique devrait doubler pour atteindre 2,4 milliards d’individus, soit le quart de la population mondiale. Il faut donner à ces forces vives les moyens de prendre leur destin en main, de participer au développement du continent et de bénéficier des fruits de sa croissance. C’est un enjeu économique, sécuritaire et sociétal pour nos deux continents.

L’ensemble de ces dimensions doit pousser les dirigeants européens à proposer un nouveau partenariat entre l’Europe et l’Afrique. Nous devons prendre conscience de l’urgence et de la nécessité de revoir ce partenariat à partir d’une « feuille blanche ». Les entrepreneurs français restent attachés au principe d’une approche coordonnée : le couple franco-allemand doit porter ce message courageux. C’est l’avenir commun de nos deux continents qui est jeu.

Deux des trois piliers de l’Accord de Cotonou que sont le dialogue politique et la politique commerciale sont aujourd’hui traités en dehors du cadre UE-ACP. L’Europe doit construire avec l’Afrique le plus important de ses accords de partenariats extérieurs, qui ne doit pas se limiter à la coopération au développement comme c’est aujourd’hui le cas.

Impératif absolu

De nouveaux piliers doivent être inclus, tels que les questions de politique commerciale, de diversification économique, de facilitation des investissements entre les deux continents et concerner tous les domaines, de l’éducation à la santé, du numérique à l’agriculture.

Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour revoir les modalités de coopération. L’efficacité du FED est aujourd’hui largement remise en question. L’allocation des ressources sous forme de dons entraîne dans certains cas des résultats contre-productifs : augmentation des mauvaises pratiques, dépendance des Etats récipiendaires, faussement des règles de marché, création de situations de rente, etc.

Il convient de préciser que nous, entrepreneurs français, croyons que le maintien de la coopération au développement est un impératif absolu pour traiter les enjeux sécuritaire et migratoire, et confirmer le décollage économique du continent africain. L’aide financière apportée par l’UE, premier investisseur, qui est encore premier partenaire commercial et premier acteur contributeur de l’aide humanitaire en Afrique, doit être confirmée. L’interrompre aurait des conséquences dramatiques pour le continent mais aussi pour ses partenaires.

En revanche, elle doit devenir plus efficace. Pour cela, il faut revoir les modalités d’attribution de ces fonds, évaluer leur efficacité et sécuriser leur allocation, utiliser davantage les effets de levier des prêts et s’appuyer sur de nouveaux outils pour les optimiser (mécanismes de garantie, partenariats public-privé).

Enfin, nous nous interrogeons fortement sur la pertinence de la logique géographique du groupe ACP. Il faut examiner sérieusement le recentrage de la coopération européenne sur l’Afrique, qui doit être considérée dans son ensemble, c’est-à-dire intégrant les pays d’Afrique du Nord, qui sont aujourd’hui traités au travers de la politique de voisinage et donc, en dehors du cadre UE-ACP. La région Pacifique a vocation à être appréhendée sous le prisme de sa proximité avec l’Asie, et les Caraïbes avec les Amériques. Cette logique continentale est depuis de nombreuses années en marche dans tous les domaines et ne pas considérer les pays ACP par blocs régionaux est devenu un non-sens. Le renouvellement du partenariat que les entreprises françaises appellent de leurs vœux doit se faire au sein d’une plate-forme réunissant l’Union européenne et l’Union africaine.

Changement de paradigme

Pour être efficace, durable et inclusive, une stratégie de développement doit mettre au premier rang de ses priorités la création d’emplois. D’où la nécessité de nouvelles formes et de nouveaux domaines de coopération. Au premier rang desquels l’éducation et la formation. Il est indispensable de contribuer à bâtir une Afrique des compétences, de développer des centres d’excellence et de susciter l’émergence d’une population active instruite, dynamique et employable.

De même, la transformation numérique de l’Afrique est un enjeu majeur. L’efficacité des nouveaux outils et les besoins des nouveaux projets qu’elle génère ne sont pas toujours perçus par les grands bailleurs de fonds qui, comme les Etats, sont plus habitués aux grands projets d’infrastructures physiques, qui constituent le champ traditionnel de la coopération Europe-Afrique.

Le renouvellement du partenariat entre l’Europe et l’Afrique doit se faire sur la base d’un accord mutuellement avantageux pour les deux continents et ce dans la perspective des objectifs de développement durable. Un tel changement de paradigme de la coopération européenne au développement, impliquant le secteur privé, aura un impact réel sur le développement durable de l’Afrique.

Il doit permettre l’amélioration des conditions de vie et un meilleur accès à l’information, à l’eau, à l’énergie, aux transports et aux nouvelles technologies grâce à des sauts qualitatifs pour l’ensemble du continent.

L’UE peut être un partenaire fiable permettant à l’Afrique de bâtir un développement durable fondé sur une diversification économique et sur les meilleures pratiques disponibles en matière sociétale, de gouvernance et de production. A ce titre, le secteur privé européen peut apporter toute sa connaissance et permettre de concilier efficacité économique et RSE.

Le temps presse et le calendrier est serré : le 5e Sommet UE-UA, qui se réunit à Abidjan les 29 et 30 novembre, constitue la dernière fenêtre d’action avant l’échéance de 2020 pour jeter les bases du renouvellement de cette coopération. Il en va de l’avenir de nos deux continents.

Bruno Mettling est président du conseil des chefs d’entreprise France-Afrique de l’Ouest du Medef International et président d’Orange Afrique et Moyen-Orient.