Lors d'une balade sur les Champs-Elysées, Abdo Rsol, des Soudan Célestins Music, se prend en photo devant le prototype Instinct dans le showroom Peugeot le 24 septembre 2017. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE

Descendre la plus belle avenue du monde… Les Soudan Célestins Music, le groupe de réfugiés que Le Monde suit dans le cadre de la série des « Nouveaux arrivants », en rêvaient. Le parcours de l’Etoile à la Concorde fait partie de la mythologie française, après la tour Eiffel et le Louvre. « Oui, et dans cet ordre-là ! », sourit Abdo Rsol, l’un des choristes du groupe.

« J’ai passé deux mois à Paris avant de partir à Vichy, explique l’ancien étudiant soudanais en sociologie. Je dormais et mangeais dans le 19e arrondissement, au lycée Jean-Quarré », où s’étaient installés les migrants à l’été 2015 après avoir dormi sur les trottoirs du quartier de La Chapelle et en avoir été délogés plusieurs fois. Celui qui, un matin, s’est vu obligé de fuir son pays parce que Karthoum le soupçonnait d’avoir participé à la contestation sur le campus de la capitale raconte qu’il s’est « autorisé à explorer Paris à trois reprises » à l’époque de Jean-Carré : « Je suis d’abord allé à la tour Eiffel, parce que, vu de l’étranger, c’est l’un des symboles de la France et qu’on ne peut pas passer à Paris sans la voir de près. Ensuite je suis allé à Versailles pour voir ce château tellement réputé, tellement symbolique d’une partie de l’histoire de France. Et dans un troisième temps, je suis allé au musée du Louvre. »

Déjà, au Soudan, Abdo Rsol, pour qui la culture a toujours été essentielle, savait que le Louvre était le plus grand musée au monde. Il y retournera, c’est sûr. « Ces sorties n’allaient pas de soi, car le Paris des migrants était plutôt cantonné au quartier où on dormait. Un Paris bien différent de celui des Champs-Elysées », observe-t-il derrière ses lunettes de soleil.

Ahmed et Hassan, qui eux aussi ont passé du temps au lycée Jean-Quarré, n’avaient pas osé de telles escapades. « A l’époque nous n’avions aucun statut, nous n’étions même pas demandeurs d’asile. Même si nous n’avions rien à faire de nos journées, il était difficile de penser au tourisme », se souvient Ahmed. Lui n’a vu la tour Eiffel de près qu’en 2016 : « Une fois où je suis revenu à Paris. J’ai pu la voir tout illuminée le soir ! » Hassan, lui aussi, a attendu octobre 2016 pour y jeter un œil et s’aventurer jusqu’au château de Versailles. Comme s’il fallait être officiellement entré dans un dispositif d’accueil pour s’autoriser à contempler les beautés de la France et penser qu’elles sont aussi un peu pour soi.

Boutiques grand public et enseignes de luxe

Ce dimanche de septembre, ce sont « les Champs » que les Soudan Célestins Music avaient envie d’explorer. La descente de ce lieu mythique s’est faite sous le soleil, après les selfies obligatoires devant l’Arc de triomphe et avant ceux de l’Obélisque de la Concorde. « Pas besoin de nous réexpliquer ces monuments !, explique fièrement Mustafa. On en a parlé avec la prof de français durant les cours de langue qui sont aussi une approche de la culture française. » Mustafa, qui a beaucoup chanté avec Ahmed et Hassan au début du groupe, a déménagé de Vichy à Moulins. Il lui est plus difficile de répéter régulièrement avec les Soudan Célestins Music, mais il les a quand même accompagnés sur la scène du festival Culture au quai, dans le 19e arrondissement de Paris, le 23 septembre.

Hassan, des Soudan Céléstins Music, devant l'Arc de triomphe, le 23 septembre 2017. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE

Comme Ahmed, Hassan et Abdo Rsol, Mustafa est heureux de cette balade touristique. De quel côté de l’avenue mythique déambuleront les Soudanais ? Les numéros pairs, avec leurs boutiques grand public ? Ou les numéros impairs, moins fréquenté, où triomphent les enseignes de luxe ?

Finalement, le groupe descend côté pair jusqu’au showroom Peugeot, avant de traverser, aimanté par la vitrine dorée de Louis Vuitton et curieux de connaître le prix d’un déjeuner au Fouquet’s. Depuis leur arrivée en 2015, quelques symboles de la France bling-bling, quelques noms emblématiques sont arrivés à leurs oreilles. La célèbre brasserie parisienne en fait partie. Mustafa promet d’y inviter ses amis, un jour. On rit en observant ceux qui se sont attablés en terrasse pour y être vus.

Maillot du PSG

Un œil sur l’architecture d’exception de certains hôtels particuliers, et la descente continue, avec des pauses chez les fabricants de voiture. Du rêve pour Ahmed qui était mécanicien et chauffeur au Soudan, pour Hassan qui a mis ses premiers sous dans l’achat d’une voiture d’occasion… Glissant d’un centre d’intérêt à un autre, le groupe s’arrête net devant le numéro 17, où il s’engouffre sans tarder.

La boutique du PSG est chargée d’une force d’attraction qui dépasse les clivages communautaires ou nationaux. A l’intérieur, on croise aussi bien le Qatari en villégiature haut de gamme que l’Espagnol qui pleure le départ de Neymar du FC Barcelone. Toute une histoire… y compris pour le groupe de réfugiés, irrémédiablement divisé entre les supporters du Barça (Abdo Rsol et Mustafa) et ceux du Real Madrid (Hassan et Ahmed). Dans la boutique, une indignation commune les réconcilie face au prix des maillots floqués des noms de Neymar ou de Mbappé. « Plus de 150 euros ! »

Sur les Champs-Elysées, les SOudan Célestins Music dans la boutique du club de football de la capitale, le Paris Saint-Germain. / SANDRA MEHL POUR LE MONDE

La descente des Champs-Elysées, avec un long arrêt autour du prototype Peugeot baptisé Instinct et une courte discussion avec un vendeur de tours en Ferrari (90 euros les vingt minutes), aura offert aux membres des Soudan Célestins Music une nouvelle vision de la capitale. Ce Paris du luxe n’a rien de commun à leurs yeux avec le 19e arrondissement dans lequel ils ont aujourd’hui leurs marques. D’ailleurs, une fois arrivés à la Concorde, tous proposent de repasser par le quartier de La Chapelle pour y croiser quelques amis et se sentir un peu plus en phase avec la capitale.