Documentaire sur France Ô à 20 h 55

Soy Croco libre / ©Zed

Il arrive parfois que des animaux participent à certains événements historiques. On se souvient par exemple des exploits de l’ours Wojtek, notamment à la bataille de Monte Cassino en 1944 au sein du corps d’armée polonais engagé aux côtés des forces alliées. En deuxième ­ligne, l’ourson orphelin recueilli que­lques années auparavant par des soldats polonais avait aidé à charger de lourdes caisses de munitions d’ordinaire portées par trois ou quatre soldats !

Cette fois, dans le surprenant documentaire de Stéphane ­Jacques, il n’est pas question d’ours mais de crocodiles. On y retrace l’histoire mouvementée du rhombifer, un crocodile 100 % cubain que Fidel Castro a choyé et qui, aujourd’hui, risque gros. Pourquoi ? Parce que le crocodile américain arrive par la mer des Caraïbes, s’introduit dans les cours d’eau, à travers les roches friables, les cavités spéléo lacustres. Et s’accouple ensuite, non sans plaisir, avec son joli camarade cubain.

Le mélange des gènes risque donc de faire disparaître le crocodile cubain et ça, le peuple de la grande île des Caraïbes (dont la forme évoque… un crocodile) ne peut l’accepter. D’autant plus que ces galipettes sous-marines se déroulent dans la Cienaga de Zapata, autrement dit la région de la célèbre baie des Cochons, lieu emblématique où, en avril 1961, des exilés cubains armés par les Etats-Unis débarquèrent et tentèrent en vain de mettre un terme à la jeune révolution au pouvoir.

Braconniers reconvertis

Menacé à pleines dents par son voisin impérialiste, le rhombifer peut compter sur la vigilance de gardiens patriotes habillés de vert : les cocodrileros, pour la plupart anciens braconniers convertis. L’histoire de ces crocodiles ­devenus fierté nationale à Cuba ­remonte aux années 1950. Avant l’arrivée aux commandes de Fidel Castro en janvier 1959, les crocodiles locaux n’étaient pas protégés. Bien au contraire, les très pauvres habitants de la région, souvent des carboneros (« charbonniers »), les tuaient pour vendre leur peau. Lorsque Fidel prend le pouvoir, il vient s’afficher avec les classes laborieuses de la région et s’engage formellement à améliorer leurs conditions de vie. En contrepartie, ils doivent arrêter de chasser le crocodile.

Soy Croco libre / France Ô

Témoignant face à la caméra, les trois vieux frères Alonso racontent ces années folles quand, avec leur père, ils allaient chasser le ­crocodile – tradition familiale oblige. Une fois adultes, ils sont devenus les gardiens de ces crocodiles cubains. Le documentaire alterne images d’archives des années 1960, témoignageset visite du sanctuaire où sont regroupés des milliers de crocos cubains qui se reproduisent entre eux.

Si l’espèce est menacée dans la nature, ce n’est pas le cas dans le sanctuaire, où l’on assiste aux soins, aux repas et aux accouplements de ces ­belles bêtes. Méticuleux et vigilants, les gardiens étudient également l’ennemi intime, à savoir quelques crocos américains parqués dans un bassin spécifique. Protégé depuis 1959, le crocodile local a connu une autre période délicate entre 1989 et 2000, lorsque la situation économique s’est détériorée. De nouveau, des braconniers ont risqué leur vie la nuit pour tuer ces reptiles et vendre leur peau. Puis la situation s’est de nouveau calmée. Avec le temps, le crocodile cubain est même devenu un argument de poids pour faire venir les touristes dans cette région isolée. Autrement dit, un crocodile cubain vivant rapporte plus qu’un crocodile mort. Cuba ­libre ? Croco aussi !

Soy croco libre, de Stéphane Jacques (France, 2017, 52 min).